Chroniques

ARCADI VOLODOS À LA PHILHARMONIE DE PARIS

Le concert d’Arcadi Volodos à la Philharmonie de Paris, donné ce 14 juin dans le cadre de la série Piano ****, était consacré à Schubert et Brahms, deux de ses compositeurs de prédilection. Venir l’écouter, ce dont il est impossible de se lasser, ce fut dans ce contexte libérateur renouer avec le son, sa beauté ineffable, ce son qui nous touche au sens littéral du terme : ce fut retrouver ce « contact » qui fut impossible des mois durant. 

Volodos dans l’intimité de Schubert et Brahms

Si Volodos ne surprend pas, d’un récital à l’autre, par le contenu de ses programmes, il subjugue et atteint sa cible immanquablement par la poésie toujours intacte et l’intensité de son propos, et surtout par ce son inimitable si profond, si dense même dans la ténuité, et si long, qui se pose au creux de votre oreille et réveille vos émotions les plus enfouies. Ainsi Volodos ne cesse jamais d’aller à l’essence de Schubert et Brahms, de creuser davantage le terrain introspectif de leur musique, de sonder les abîmes de leurs âmes. 

La Sonate n°8 en sol majeur op.78 D 894 de Schubert commence par un premier mouvement molto moderato dont le pianiste renforce la sensation d’immobilité, suspendant les fragments de phrases dans des résonances et des silences étirés au-delà de leurs valeurs. Il n’y a presque rien, que quelques accords statiques sur un soupçon de rythme : encore faut-il en faire quelque chose. Volodos est peut-être le seul, avec Sokolov, à nous serrer à ce point le cœur avec ces humbles accords. Le tempo pris très lent, le ton recueilli, le sentiment intime si palpable sous son habit de pudeur effacent en nous toute triviale superficialité. La gravité ici n’a pas de poids, et la tendresse, la simplicité d’une mélodie ponctuée tel un mouvement de valse, esquissent même une légèreté éphémère, une apparente insouciance qui peinent à masquer le fond tragique. C’est dans cette intériorité, dans ces subtils glissements entre ombres et éclaircies qui n’empêchent nullement la survenue de l’orage (passage fff), dans ces espaces laissés aux silences que Volodos nous chante l’instant schubertien. Le Menuet enchâssant un évanescent trio joué en filigrane, quasi fantomatique, a ici perdu ses atours de danse viennoise. L’allegro final ne se détache de l’atmosphère générale que par son chant infini, indestructible, qui avance du mineur au majeur vers la lumière somptueuse des aigus, avant de s’égrainer pour s’effacer progressivement dans le silence. 

Dans les Six Klavierstücke op.118 de Brahms jouées en seconde partie, Volodos dessine un tout autre espace sonore. Le son s’incarne dans sa chaleureuse plénitude, ses rondeurs, et avec vigueur mais sans aucune dureté dès l’intermezzo n°1, au ton passionné. La respiration se fait ample, profonde, tout comme les soupirs qu’exprime cette musique. Le deuxième intermezzo chante de toutes ses couleurs, avec ferveur et tendresse, nostalgie aussi. Le ton ferme et déterminé de la Ballade s’adoucit d’une rêverie immatérielle, sous un toucher en apesanteur. Quelle délicieuse parenthèse poétique que la contemplative et paisible Romance, et quel saisissant intermezzo final dans son parcours narratif, du dénuement et de la sombre désolation des premières mesures à l’emportement central! 

Hors de question pour Arcadi – qui porte la main sur son cœur en saluant le public, ce qui nous vaut à présent cette familiarité – de quitter l’auditoire sans prolonger le concert par ses chers bis : le premier Intermezzo en mi bémol majeur de l’opus 117 de Brahms, crépusculaire, fut suivi de l’andantino de la Sonate en la majeur D 959 et ses pianissimi miraculeux ainsi que du Menuet en la majeur D 334 de Schubert, puis des sonorités magiques d’ El Lago de Mompou (Paisajes II). 

Jany Campello

(crédit photos : Arcadi Volodos©Marco Borggreve)

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