Il fait novembre en mon âme fut commandé au compositeur franco-libanais Bechara El-Khoury par les parents de Stéphane, tué au Bataclan le 13 novembre 2015, en sa mémoire. Créé sans public ce mardi 10 novembre à la Philharmonie de Paris, ce poème symphonique sera retransmis vendredi 13 novembre à 20h30 sur le site Live de la Philharmonie de Paris, dans un concert hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015. Nous revenons sur la carrière de Bechara El-Khoury, avant d’évoquer avec lui cet évènement…
Bechara El-Khoury, compositeur et poète humaniste
Bechara El-Khoury nait à Beyrouth en 1957. Dans sa famille, l’art est une passion, une vocation: Bechara grandit entouré de poésie et de musique – sa mère, issue d’une lignée grecque orthodoxe, est pianiste et chanteuse, mais aussi romancière et poétesse; poète, son père avocat de profession l’est aussi. L’enfant unique montre dès son plus jeune âge un goût prononcé et des dons pour la poésie et la musique qui n’échappent pas à la tendre attention de ses parents. Il apprend le piano, et doué d’une grande imagination, compose. Il a douze ans. Son professeur Hagop Arslanian lui enseigne l’harmonie, le contrepoint…l’ouvre au monde musical. « Mon professeur a adressé mes premières compositions à Aram Khatchatourian, qui avait accepté de me prendre comme élève. Mais ma famille a eu peur de m’envoyer seul et si jeune en URSS. Il avait aussi adressé mes partitions au Royal College de Londres. Finalement mes parents ont choisi Paris, où ils avaient des amis. Nous avions en outre une grande proximité avec la culture française. » Ainsi Bechara El-Khoury quitte Beyrouth alors en pleine guerre, en 1979, pour poursuivre ses études avec Pierre Petit à l’Ecole Normale de Paris.
Il travaille le grand répertoire pianistique – Brahms, Scriabine, Rachmaninov dont il considère le troisième concerto comme étant le plus grand de tous ceux jamais écrits – il compose, et écrit des poésies. « A quatorze ans, j’ai vécu mon premier choc musical, en écoutant « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss. Puis quelques années plus tard, alors que j’avais vingt-deux ans, j’ai découvert Elektra, ce fut le choc de ma vie! Depuis la musique de Richard Strauss continue à me guider. Je suis très influencé par l’orchestration de ce compositeur. Il est mon modèle. Il est un ami qui ne me quitte jamais, comme Rachmaninov. Mon tempérament mélancolique et solitaire s’accorde bien avec ces compositeurs (ce qui ne m’empêche pas d’être drôle en société!). J’ai aussi une très grande admiration pour Stravinsky – à l’âge de quinze ans, j’ai été très impressionné par « L’Oiseau de feu » – et j’aime Berg et Zemlinsky. » À quatorze ans, Bechara El-Khoury a déjà écrit huit symphonies, deux concertos, soixante œuvres pianistiques, des poèmes symphoniques…et à quinze ans, cet amoureux de Baudelaire et Lamartine édite ses premiers recueils de poésie. Son imagination et la rêverie poétique rejoignent dans ses œuvres une architecture solidement campée, issue du modèle straussien. Il s’établit à Paris et acquiert la nationalité française en 1987.
« apporter un témoignage musical porteur d’un message de paix et d’amour… »
En 1983, un premier album paru chez Erato rassemble sur deux disques des œuvres enregistrées par l’Orchestre Colonne sous la direction de Pierre Dervaux, et le pianiste David Lively. Parmi celles-ci, son Requiem pour orchestre opus 18 qui fera partie de sa Trilogie libanaise. Le compositeur a une prédilection pour les grandes œuvres symphoniques et concertantes, en particulier pour le poème symphonique: « J’aime beaucoup cette forme. Elle fait le lien entre mes textes poétiques et ma musique. Au départ, j’ai puisé mon inspiration dans les écrits de Rabīndranāth Tagore, le poète indien. « Le Liban en Flammes » premier de mes poèmes symphoniques, fait partie de ma Trilogie libanaise ». Profondément marqué par l’histoire de son pays, Bechara El-Khoury lui a consacré trois compositions: ce premier poème, le Requiem, et sa première symphonie « Les ruines de Beyrouth ». Sa musique au lyrisme sombre évoque les émotions suscitées par les tragédies, les drames et les espérances. La guerre mais aussi les attentats: New York Tears and Hope achevée en 2005, fut composée en hommage aux victimes du 11 septembre 2001. « Il m’a fallu quatre ans pour écrire cette œuvre. Depuis quelques années je compose moins et plus lentement que lorsque j’avais trente ans. Je ne veux pas être dans la réaction immédiate. Une décantation est nécessaire pour poser sur des évènements de cette nature un regard de compassion, apporter un témoignage musical porteur d’un message de paix et d’amour, dans une perspective humaniste. »
Il fait novembre en mon âme
Il y a deux ans nait alors le projet d’une œuvre commandée par les parents d’une victime des attentats du 13 novembre 2015. Ils s’adressent à la Fondation de France et son action Nouveaux Commanditaires: Bruno Messina endosse le rôle de médiateur et les guide vers le choix d’un compositeur. « Beaucoup de compositeurs ont été écoutés et pressentis, et le choix s’est finalement porté sur moi. Ma musique les a touchés; ils ont pensé qu’elle pourrait toucher davantage de monde ». L’Orchestre de Chambre de Paris, enthousiaste, adhère au projet. La Sacem apporte son soutien. Tout est désormais en place, et Bechara El-Khoury s’attèle à la composition, qui va durer une année et demie. Il travaille la nuit, dans le silence absolu. L’œuvre voit le jour sous le titre inspiré du poème d’Émile Verhaeren: « Il fait novembre en mon âme ». « J’ai choisi la forme d’un poème symphonique avec voix: c’est la première fois que j’introduis la voix dans ce type de composition, une voix de femme. Il n’y a pas de texte: ce sont des vocalises que l’on entend dans les dix dernières minutes. Je n’ai pas voulu influencer par des mots un évènement indicible, impensable. La voix de femme, par son timbre qui a une pureté divine, ajoutée à l’orchestre, touche mieux que des paroles. Elle donne une dimension humaine et accroît celle spirituelle de la musique. » L’œuvre d’un seul tenant est construite en deux parties, séparées par un silence. « La première partie rappelle l’évènement tragique, sa phase violente. Je n’y décris rien, j’évoque la vision de ce qui est arrivé. La seconde partie est méditative, l’atmosphère y est apaisée; on y entend la tristesse, la prière. » Une œuvre à la dimension universelle: « Bien sûr! cette œuvre est un hommage à Stéphane, et aux autres victimes de cet horrible attentat, mais aussi symboliquement à toutes les autres victimes, celles de Paris, de Nice et d’ailleurs. Elle englobe la planète entière, car malheureusement le terrorisme est récurrent, perpétuel. Au lieu d’unir les hommes, les religions les séparent depuis des siècles. Je suis imprégné de ma culture catholique maronite, mais je n’oppose pas cette religion aux autres! »
La création mondiale de ce Poème symphonique n°7 opus 108*, devait avoir lieu en public, à la Philharmonie de Paris. Elle a été réalisée et captée par la Philharmonie de Paris, qui diffusera le concert en vidéo sur son site ce vendredi 13 novembre, cinq ans jour pour jour après les attentats parisiens. Au programme également la Symphonie n°31 « Paris » de Mozart. France Musique retransmettra le concert sur ses ondes le 19 novembre à 20 heures, après une interview du compositeur. Arte concert le diffusera simultanément vendredi 13 novembre à 20h30 sur sa chaîne. Les interprètes en sont l’Orchestre de Chambre de Paris, Isabelle Druet, mezzo-soprano, et Pierre Bleuse, direction. Un évènement à ne pas manquer!
Jany Campello
*Il fait novembre en mon âme, Poème Symphonique N°7 opus 108, édité aux éditions Durand.
Vendredi 13 novembre, 20H30:
https://live.philharmoniedeparis.fr/concert/1119510/
Le concert du 13 novembre était sublime. La musique de Bechara El Khoury est belle, riche, expressive et puissante.
Chère madame, vous avez été à l’origine de cette pièce d’une poignante, bouleversante beauté! Sans votre commande, sans votre magnifique intuition, nous ne l’aurions jamais entendue. Nous vous en rendons grâce.