Chroniques

CLAUDE SAMUEL, SOIRÉE HOMMAGE À RADIO FRANCE

Sa vie, il l’aura vouée entièrement à la musique et à ses créateurs. Le 26 septembre, lors d’une grande et belle soirée, Radio France rendait dans ses murs un hommage appuyé à l’homme insatiable et passionné qui y fut producteur, puis son directeur de la musique de 1989 à 1996, décédé le 14 juin dernier, le journaliste Claude Samuel. 

Une soirée aussi longue fût-elle ne pouvait suffire à retracer exhaustivement la carrière de Claude Samuel, tant son existence a été remplie, tant cet entrepreneur hors normes a fait pour la musique, celle du passé et surtout celle de son temps. Il laisse un témoignage et un héritage considérables, des traces indélébiles, des archives conservées avec un soin méticuleux de ses rencontres, de ses interventions. Académies, fondations, festivals, concours, prix, biographies, émissions de radio…Rien n’aura été négligé lorsqu’il se sera agi pour lui de promouvoir la musique contemporaine, la défendre, soutenir les jeunes talents, interprètes et compositeurs, découvrir, transmettre, raconter, faire aimer la musique de tous les temps. Cette soirée fut un magnifique moment de partage et d’émotion avec quelques uns de ces musiciens qui furent marqués, ainsi que leur carrière, par sa rencontre, autour de témoignages verbaux et musicaux, d’archives sonores et en images, balisant chaque grands temps forts de sa vie sans qu’aucun ne soit oublié.

 

Le Prix des Muses rebaptisé

Elle a commencé avec une cérémonie officielle, orchestrée par Lionel Esparza, annonçant le nouveau palmarès du Prix des Muses, créé par Claude Samuel en 1996, rebaptisé désormais Prix du livre France Musique Claude Samuel. Récompensant des ouvrages sur la musique, quatre prix ont été décernés: 

Le Grand Prix du livre France Musique Claude Samuel à « La Musique dans l’Italie fasciste (1922-1943) » de Charlotte Ginot-Slacik et Michela Niccolai (Ed. Fayard)

Le Prix de la biographie à « Pierre Boulez » de Christian Merlin (Ed. Fayard)

Le Prix de l’essai à « Musiquer » de Christopher Small (Ed. de la Philharmonie de Paris)

et enfin le Prix Coup de cœur à « L’Humour de Claude Debussy » de Benjamin Lassauzet (Hermann éditeur)

 

Boulez, Xenakis, Messiaen et les autres…

Laissant place à la musique, le micro cette fois entre les mains d’Arnaud Merlin, la soirée se poursuit, enregistrée par France Musique pour une retransmission le 1er novembre prochain à 20 heures, dans le cadre de l’émission « Carrefour de la création ». Premier jalon avec le compositeur Olivier Messiaen, que Claude Samuel admirait et auquel il est toujours resté attaché, multipliant les publications à son sujet (cahiers d’entretiens entre autres), et créant un concours de musique contemporaine pour piano à son nom en 1967. On ne s’étonne donc pas de voir arriver sur scène Roger Muraro, élève d’Yvonne Loriod, grand interprète de l’œuvre pour piano de Messiaen. Ce ne sont ni les « Regards », ni le « Catalogue d’oiseaux » qui ont fait sa renommée qu’il a choisi de jouer, mais une pièce peu souvent donnée, Canteyodjaya, datée de 1949, inspirée de la musique hindoue, aux rythmes énergiques et dynamiques puissantes, aux contrastes fortement marqués, choix hardi « qui aurait plu à Claude Samuel » , dit-il tout en confiant ses souvenirs au public. 

Premier Prix du concours Rostropovitch, créé par Claude Samuel en 1977 – il entretenait avec le musicien russe une vive amitié – le violoncelliste Gary Hoffman lui emboîte le pas avec Preludio-Fantasia (Zarabanda) extrait de la Suite pour violoncelle seul de Cassadó et la Sarabande de la Suite n° 3 de Bach, deux pièces au calme recueillement, dans son interprétation toute en simplicité et profondeur. Claude Samuel a publié sa première biographie en 1960, celle de Sergei Prokofiev. Un soir, il entend la pianiste Idil Biret jouer salle Gaveau. Impressionné par son talent et l’énergie de son jeu, il lui propose d’enregistrer la Sonate n°7 du compositeur russe, pour le label Vega qu’à l’époque il dirige. Venue spécialement de Turquie, elle interprète ce soir deux extraits de cette sonate dont son fameux mouvement « precipitato », avec un engagement émouvant. 

Dernier ouvrage de Claude Samuel, une autre biographie, celle de Clara Schumann (ClaraS., Les secrets d’une passion, Flammarion 2006). La pianiste Marie Vermeulin, avant d’évoquer ses souvenirs du Centre Acanthes, et de son 2ème Prix remporté en 2007 au concours Olivier Messiaen, interprète à son tour deux pièces dans une admirable finesse de jeu et de couleurs: Le Rouge Gorge de Messiaen, et la Romance de Clara Schumann.
 

Il fut fasciné tout également par ces deux personnalités on ne peut plus antagonistes que furent Iannis Xenakis, qui fut notamment souvent invité au Festival d’Art Contemporain de Royan, et Pierre Boulez, auquel il consacra deux ouvrages. Deux artistes viennent interpréter ces compositeurs centraux dans la vie de leur plus fervent admirateur. D’abord le percussionniste Florent Jodelet nous ébahit avec Psappha de Xenakis, partition d’une virtuosité de haute volée qui met en scène une panoplie stupéfiante de timbres et de matériaux sonores. Puis un peu plus tard, le pianiste Pierre-Laurent Aimard, Premier Prix du concours Olivier Messiaen en 1973, choisi ensuite par Pierre Boulez comme soliste de l’Ensemble Intercontemporain, interprétera une série de Notations avec toute l’expertise expressive et la plastique requises pour ces œuvres phares du répertoire pianistique de Boulez. Autre création importante de Claude Samuel, le concours international de Jazz Martial Solal, que le pianiste Manuel Rocheman, disciple du célèbre jazz man, vient représenter en interprétant auparavant deux standards. 

Le Centre Acanthes, cette académie que Claude Samuel avait créée pour y rassembler les nombreux compositeurs les plus prestigieux, de jeunes aspirants à la compositions, et le public, tenait ses sessions annuelles dans divers endroits: Aix en Provence, Avignon, Villeneuve-lès-Avignon, et enfin Metz. La soprano Donatienne Michel-Dansac qui y a enseigné interprète avec la violoniste Jeanne Marie Conquer des extraits de Kafka Fragmente de Gyorgy Kurtag, compositeur qui y fut invité en 1995: quelques courtes pièces – fragments – inspirées de la correspondance de Kafka, intimistes et attachantes, « dites » sur le ton de la confidence avec une sincérité touchante.

La soirée ne pouvait se terminer sans le gamelan balinais, de cette terre indonésienne chère à Claude Samuel et à sa famille. Les instruments aux couleurs vives attendaient là, comme en décor de fond, depuis le début de la soirée. Les musiciens de l’ensemble Puspa Warna s’installent solennellement. Le piano de Boulez et Messiaen est à présent bien loin. Nous voici plongés dans un univers sonore chatoyant, vibrant de timbres bigarrés, aux rythmes élaborés, qui nous prend tout entiers, nous emporte loin, et résonne comme une musique originelle, comme la possibilité d’une source. Une facette moins connue de Claude Samuel, qui restera à jamais un exemple d’ouverture, de passion, d’engagement et d’action. Puissent les générations présentes et à venir s’en souvenir et s’inspirer de son modèle, pour la vitalité de la musique! 

Jany Campello

Concert enregistré au studio 104, Maison de Radio France, diffusion sur France Musique le 1er novembre 2020  à 20h00, émission Carrefour de la Création, Arnaud Merlin. 

crédit photo: Guy Vivien (Claude Samuel) et Yannick Coupennec (photos du concert)

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