La finale de la 15ème édition du Concours International de Piano Geza Anda s’est déroulée ce samedi 5 juin à la Tonhalle Maag de Zürich. Le jury a décerné le Premier Prix à Anton Gerzenberg (Allemagne). Julian Trevelyan (Grande-Bretagne) a remporté, outre le Deuxième Prix, le Prix Mozart du Musikkollegium Wintherthur, ainsi que le Prix du Public-Geza Anda. Enfin Marek Kozák (République Tchèque) a été récompensé du Troisième Prix. Beethoven, Bartók et Liszt étaient au programme de cette ultime et brillante soirée…
« Nous avons avancé dans l’inconnu, nous avons pris des risques, et finalement cette édition est une grande réussite » (Tobias Richter)
Le concours Geza Anda, créé en 1979 par Hortense Anda, a lieu tous les trois ans. Les contraintes sanitaires et les incertitudes n’ont pas découragé Tobias Richter, Président de la Fondation Geza Anda, et son équipe, qui ont su s’adapter et fournir tous les efforts nécessaires pour maintenir le calendrier et cette édition particulière, en cette année de célébration du centenaire de la naissance de Geza Anda. Pour marquer cet anniversaire, la valeur des prix attribués a été exceptionnellement augmentée (40000 CHF pour le 1er Prix, 20000 CHF pour le 2ème, et 10000 CHF pour le 3ème). À sa grande satisfaction, les épreuves ont pu se dérouler devant un public réduit à 100 personnes, mais bel et bien présent.
Sur les 84 candidats inscrits, 37 ont passé le premier tour. « Cela a été très difficile de sélectionner à distance les participants. Le niveau était très élevé et dans le contexte que nous connaissons, il a fallu consacrer beaucoup plus temps et d’attention pour parvenir au choix le plus juste possible ». nous a avoué Tobias Richter. Le jury composé de 9 pianistes internationaux et présidé par Gerhard Oppitz a sélectionné au fil des épreuves 6 candidats pour la demi-finale, puis les trois finalistes, s’attachant tout particulièrement cette année à faire montre de compréhension et de flexibilité (en matière de répertoire), tout en maintenant son haut niveau d’exigence artistique.
Le jury Gerhard Oppitz, Ricardo Castro, Zlata Chochieva, Pietro de Maria, Vladimir Feltsman, John Fiore, Andreas Haefliger, Rena Shereshevskaya, Antti Siiralla |
« Être guidé par l’esprit de Geza Anda »
Tel est le précepte que les candidats au concours se doivent d’appliquer dans le choix de leur programme autant que dans leur approche des œuvres présentées. Selon Geza Anda, le jeu de l’interprète doit combiner rationalité et émotion, et doit à la fois révéler une solide culture musicale et une personnalité puissante capable de prise de risques. Le répertoire de prédilection du célèbre pianiste, étendu du classique au romantique, de Beethoven à Brahms et Liszt, Tchaikovsky et Rachmaninov, a culminé avec Mozart dont il a enregistré l’intégrale des concertos en « joué-dirigé ». La demi-finale apparaît de fait l’étape-clé du concours, puisqu’elle impose l’interprétation d’un de ses concertos.
Rena Shereshevskaya nous en dit quelques mots :
« Le musicien qui présente le concours doit se sentir investi d’une grande responsabilité, il doit avoir conscience qu’il porte quelque chose de sacré en interprétant Mozart dans ce concours, beaucoup plus que dans tout autre où Mozart est imposé, comme le Concours Reine Élisabeth. C’est pour cela que le Prix Mozart a une signification importante et une grande valeur. Pour Geza Anda, il y a trois éléments fondamentaux qui font la musique : l’image (la musique se voit, comme la danse s’entend !), le son, et les émotions qui sont liées à la pensée. Pour le son, le pianiste doit écouter l’opéra et transposer les couleurs de ses voix, surtout dans Mozart ! Quant à l’image, il ne s’agit pas de ce qu’il donne à voir physiquement : ce sont ses doigts et son âme qui parlent, qui montrent, qui racontent. L’interprète doit avoir cela, il doit mettre en scène la musique… Et quelque soit la décision du jury, la musique gagne toujours ! Il s’est trouvé que mon élève Julian Trevelyan a participé à la finale. Bien naturellement je n’ai pas pu lui donner de note mais je suis très fière qu’il ait eu ce Prix spécial (Mozart, ndlr) et aussi le Prix du public, auquel j’accorde une importance primordiale, car au bout du compte c’est le public qui décide. »
les Prix spéciaux Prix spécial Lizst-Bartok 10 000 CHF (9 000 €) : Mihaly Berecz, Hongrie Prix Mozart du Musikkollegium Wintherthur 6 000 CHF (5 500 €) Prix du Public – Geza Anda (Parrainé par la Privatbank IHAG Zürich AG Offre l’opportunité de se produire en concert) : Julian Trevelyan, Grande-Bretagne Prix spécial Hortense Anda-Bührle 3 000 CHF (2 700 €) : Giorgi Gigashvili, Géorgie Les Prix additonnels Special prize of Müpa Budapest (Palace of Arts) – un concert dans la saison 2022/2023 : Anton Gerzenberg Prêmio Nelson Freire – un concert avec le YOBA Orchestra : Richard Octaviano Kogima Jury Special Prize of the Moscow Philharmonic – un récital au Philharmonic Chamber Hallin dans la saison 2022/2023 : Vasilii Zabolotnii |
La jeune pianiste russe Zlata Chochieva est elle aussi satisfaite du déroulement et de l’issue de ce concours : « c’est ma troisième expérience en tant que membre de jury de concours international. J’ai été particulièrement touchée d’y être invitée car j’ai un attachement spécial pour ce concours. Lorsque j’étais plus jeune, j’ai eu très envie de le présenter, mais le cours de ma carrière s’est orienté différemment, vers d’autres compétitions. Ce concours a une véritable identité. J’ai été étonnée du niveau qui m’a paru très élevé. J’ai beaucoup apprécié d’entendre, parmi les candidats, des musiciens qui ont une certaine maturité, une personnalité authentique. Cela a été très intéressant de découvrir des individualités fortes. Un point qui me paraît essentiel dans ce concours, c’est que le candidat doit avoir travaillé à la construction de son programme, et doit être capable d’expliquer ses choix. »
Beethoven, Bartók, et Liszt en finale
Durant cette finale, les candidats ont eu la chance d’avoir pour partenaire de scène le Tonhalle Orchester Zürich sous la baguette de l’excellent chef hongrois Gergely Madaras, actuel directeur de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. Saluons au passage la grande qualité et la belle homogénéité de cette phalange, et le talent de Gergely Madaras qui a su en déployer la panoplie de couleurs, et lui insuffler une vitalité expressive sans aucun doute très inspirante et d’un grand soutien pour les trois solistes.
C’est avec le Concerto pour piano n°5 en mi bémol majeur op.73 de Beethoven joué par Marek Kozák, que la soirée a commencé. Une interprétation très droite, solidement construite, servie par un son bien projeté et lumineux, des aigus éclatants, mais des basses trop peu présentes. Le final brillant n’a pas permis d’oublier ce qui a manqué à l’adagio : cette atmosphère ineffable, cette suspension, cette inspiration que l’interprète doit trouver dans la sonorité et la conduite sous un legato parfait – ici perfectible – de ses longues phrases.
Il en a été tout autrement de l’interprétation du Concerto pour piano n°3 (Sz 119, BB 127) de Bartók, joué par Julian Trevelyan. Voici un jeune pianiste qui entre d’emblée dans le vif du sujet, qui dès les premières mesures, affirme une présence, impose une personnalité. Son jeu coloré, vivant, imaginatif, expressif, nous a tenus en haleine du début à la fin. Toujours en étroite connexion avec l’orchestre, et de connivence avec son chef notamment dans les jeux de timbres, il a semblé parfaitement à son aise, éprouvant un enthousiasme et un plaisir manifestes et communicatifs. Joueur et même danseur, opposant clarté et effets de masse sonore, il a aussi su captiver avec le choral du deuxième mouvement, écoutant, recueilli, les couleurs des accords, et nous emporter dans le tumulte et l’exaltation du finale sans perdre de vue la direction de son jeu. Remarquable!
Anton Gerzenberg a interprété Liszt, avec pour commencer la Totentanz S.126, suivie du Concerto pour piano n°1 en mi bémol majeur S.124. La Totentanz a été très impressionnante de noirceur, de férocité, et de puissance sonore. Le pianiste a su astucieusement tirer partie de la pédale pour produire des résonances, des effets de réverbération sonore telle celle que l’on entend dans les cathédrales. Il a montré une grande maîtrise technique et un sens abouti de la construction qui attestent incontestablement d’un niveau professionnel. Son concerto, peut-être un peu moins dominé a été cependant de belle facture, quoique l’on aurait souhaité un peu plus de lâcher-prise, de séduction et de modelé dans les passages lyriques, chantés néanmoins avec noblesse. On a apprécié son jeu particulièrement engagé et passionné dans la dernière partie du concerto.
Les lauréats en quelques lignes…
Anton Gerzenberg, 1er Prix
Né en 1996 à Hambourg, Anton Gerzenberg a commencé à jouer du piano à l’âge de quatre ans. Après ses études dans sa ville natale, il a poursuivi son apprentissage avec Jan Jiracek von Arnim à Vienne et se perfectionne actuellement auprès de Pierre-Laurent Aimard à Cologne. Passionné de musique contemporaine, qu’il ne dissocie pas du répertoire « classique » il est devenu en 2019 l’un des fondateurs de l’ensemble de musique nouvelle ÉRMA à Cologne. Fervent admirateur de Martha Argerich, il a joué avec elle en musique de chambre. Il s’est produit également avec Dora Schwarzberg et Alvise Vidolin, ainsi qu’avec divers orchestres, notamment le Taipeh Symphony Orchestra, le Münchner Symphoniker dirigé par Jonathan Stockhammer et la Hamburger Camerata sous la direction de Felix Mildenberger. Il a monté la Totentanz et le Concerto n°1 de Liszt spécialement pour la finale du concours, sans jamais les avoir joués ailleurs auparavant.
Julian Trevelyan, 2ème Prix, Prix Mozart et Prix du public
Julian Trevelyan est un musicien britannique né en 1998. A l’âge de 16 ans, il a remporté le premier prix du Concours Marguerite Long. Il a également été lauréat des concours CFRPM, Dudley, Dumortier et Kissingen. Il est élève de Rena Shereshevskaya à l’École Normale de Musique Alfred Cortot. Il y a également étudié la composition et est compositeur en résidence avec l’Ensemble Dynamique. Ancien élève de la Lieven International Piano Foundation, il s’est aussi formé auprès de Christopher Elton et Elizabeth Altman. Il a à son actif plus de vingt concertos pour piano différents, dont 7 concertos de Mozart, la première version du concerto Op. 23 de Tchaïkovski et le Concertino pour piano et orchestre de Lucas Debargue qu’il a joué au Zaryadye Hall de Moscou. Il a étudié la musicologie à l’université d’Oxford et est en outre diplômé en géologie. Il dirige un quatuor à cordes, joue des instruments historiques et fait partie d’un chœur a capella mandarin. Parmi les pianistes du passé, Richter, Schiff et Sokolov sont ses principales références, ainsi que Geza Anda, « parce que ça chante »! Il est passionné d’opéra et particulièrement de la musique de Mozart, qui lui procure une « joie de jouer particulière », de par sa dimension théâtrale et sa modernité.
Marek Kozák, 3ème Prix
Marek Kozák est né en 1993 en République tchèque. On se souvient lui en tant que brillant demi-finaliste du Concours international de piano Fryderyk Chopin de Varsovie en 2015, et de son succès au concours du Printemps de Prague un an plus tard, en 2016. En 2018, il a remporté le premier prix ainsi que le prix du public au Concours européen de piano de Brême. En 2019, il a été finaliste du concours Busoni à Bolzano. Doué d’une technique irréprochable, il est très attaché au sens des proportions et de la gradation, à la qualité de l’expression, et à la fidélité à la notation musicale. Marek Kozák est diplômé de la classe de piano du professeur Ivan Klánský à l’Académie des arts du spectacle de Prague.
Pour conclure…
Cette édition du concours aura mis sous ses projecteurs trois personnalités très différentes, auxquelles il faudra être désormais attentif. Le contexte sanitaire très contraignant aura créé l’opportunité de mettre en place le « live stream », qui permet aujourd’hui d’apprécier sur internet les vidéos des différents tours du concours, et d’écouter tous les candidats. C’est une nouveauté qui sera intégrée aux futures éditions. La prochaine aura lieu en 2024, souhaitons-le sous de meilleurs auspices. Auparavant, le 100ème anniversaire de Geza Anda sera fêté les 18 et 19 novembre 2021 au Kunsthaus de Zürich, lors d’une nuit du piano.
Jany Campello
(crédit photos concours Geza Anda©Dmitry Khamzin)