C’est la rentrée pour l’Orchestre de Paris, qui a ouvert le bal des réjouissances musicales de l’année avec Ravel et ses danses, dirigé par le jeune chef Gustavo Gimeno, venu remplacer Riccardo Chailly souffrant. Un concert haut en couleurs.
Premier concert de la saison de l’Orchestre de Paris, mais dernier concert pour son violon solo Roland Daugareil, dont on fête ce soir du 8 septembre son départ à la retraite après 23 ans au sein de la formation. Un programme festif, fait d’un bouquet d’œuvres orchestrales (et orchestrées) de Maurice Ravel dont le très célèbre Boléro, pour saluer comme il se doit ce fidèle musicien, pilier de l’orchestre, mais aussi pour ravir un public au rendez-vous de ces retrouvailles parisiennes. Orchestre, balcons, la salle Pierre Boulez de la Philharmonie est comble ! Directeur musical du Philharmonique du Luxembourg, et du Symphonique de Toronto, Gustavo Gimeno n’a rien changé au programme tout Ravel prévu par Riccardo Chailly.
La soirée commence en mode viennois avec les Valses Nobles et Sentimentales, écrites en hommage à Schubert d’abord pour le piano, puis orchestrées par le compositeur pour le ballet « Adélaïde ou le langage des fleurs ». Le chef nous introduit dans l’imaginaire ravélien de la danse, modelant avec élégance la matière sonore de l’orchestre de ses gestes souples et amples, en vagues voluptueuses, révélant au fil de ses chavirantes virevoltes et de ses lignes langoureuses, les couleurs somptueuses des bois. Et ce sont d’exquis vertiges que les violons et l’onctuosité de la flûte, puis la saveur des cors anglais et des hautbois, nous donnent à l’écoute de ces valses d’une belle fluidité. L’Épilogue dissout ce rêve de danse dans les graves des cordes, en bribes jouées par les vents et les premiers violons, souvenirs diffus des sept valses évanouies…
Il n’est plus question de légèreté dans La Valse, composée à l’issue de la Grande Guerre. Dernier et dérisoire sursaut qui conduit au paroxysme son étourdissant tourbillon, elle ne s’en donne que l’illusion. Commencée dans les sombres profondeurs des timbres graves de l’orchestre, elle émerge et s’esquisse progressivement, s’ébranle et s’élance dans une fluidité remarquable, cherchant la lumière sous les fastes des lustres d’un monde révolu. L’élégante Valse de Gustavo Gimeno n’a peut-être pas sa juste épaisseur pathétique, peut-être reste-t-elle à la surface des soieries des crinolines en mouvement, mais cette légèreté apparente lui donne un élan irrésistible. il manque cependant à la fin la formidable démesure de l’ explosion attendue, et le fracas qui la suit.
La seconde partie nous transporte dans l’Espagne de Ravel, et les rythmes de ses danses. Après une truculente Alborada del Gracioso, où les pizzicati s’échangent entre cordes et bois dans une connivence de bon aloi, l’orchestre s’empare de la Rapsodie Espagnole avec fougue (Feria ), la parant de couleurs éclatantes. L’esprit est à la fête, et tous les musiciens s’y emploient, dans une complicité qui n’échappe à personne. Si la Habanera semble dans sa nonchalance s’abandonner à une indéfinissable rêverie, plus qu’au mouvement lascif de son rythme, la fin brille de tous ses feux !
Le Boléro manifestement très attendu du public fait son effet, récoltant une ovation debout. Il faut dire que musiciens et chefs ne boudent pas leur plaisir à le jouer, à commencer par la flûte solo et la clarinette solo, qui à découvert, entament superbement la partie. Le chef à la battue toujours impeccable et d’une stabilité à toute épreuve, installe dans le rythme pointé tenu par la caisse claire un balancement voluptueux et hypnotique qui ne s’arrête qu’à l’apothéose finale. Pour remercier la salle enthousiaste, et en honneur à Roland Daugareil, l’orchestre donne une ultime touche à cette fête espagnole, avec une première Danse de la Vida Breve de Manuel de Falla, enlevée et lumineuse.
Jany Campello
crédit photo : Gustavo Gimeno©Marco Borggreve