Arcadi Volodos met en scène Liszt et Schumann
Quiconque attendait Arcadi Volodos dans la tendre simplicité schubertienne, l’incandescence mystique de Scriabine, ou le chant intérieur économe du vieux Brahms, n’aura pas trouvé son comptant à ce concert. La nuit commence à noircir les cimes des platanes et des séquoias, de part et d’autre de la grande scène sous la voûte de la conque du Parc Florans. Rien, dans le pas tranquille du pianiste qui arrive du fond de la scène, ne nous laisse présumer de ce que nous allons entendre. Sans autre forme de procès, Il commence la Ballade n°2 en si mineur de Liszt, compositeur du jour.
Il la joue depuis de nombreuses années mais peut-être ne l’avions-nous pas entendue ainsi auparavant, ou alors le souvenir s’en est estompé. Cette œuvre qui fait appel à des capacités techniques considérables par les difficultés de ses traits, octaves brisées, ou alternées, rapidité foudroyante des gammes, peut sous d’autres doigts, devenir pure démonstration d’effets pianistiques. Ce serait oublier le poème à caractère gothique qui l’inspira, cette histoire morbide, celle d’un amour transfiguré entre deux personnages dont l’un est un revenant. Volodos ici la raconte, et mieux en donne la représentation. Son jeu est dans le dépassement de toute mesure, ce que cette Ballade réclame, et ses moyens le lui permettent, à en juger, sans grands efforts. On en oublie le piano et ses prouesses circassiennes. Le pianiste a sous ses doigts une partition d’opéra, digne de ceux de Wagner. Il use des plus forts contrastes, de grandiloquence, faisant sonner le piano du tombé de ses bras. Les basses grondent au début dans leurs remous chromatiques, s’interrompent un instant et laisse la frêle bribe mélodique esquisser dans l’aigu une lumière indécise. Des accords d’une violence incisive provoquent une panique traduite par les notes martelées dans le grave et les gammes affolées dévalant le clavier de part en part. Puis c’est une course échevelée que l’on entend dans les déferlements d’octaves. Le sol semble s’ébranler sous nos pieds, tant l’énergie est saisissante, phénoménale. L’œuvre secouée par un si puissant séisme, trouve un instant un répit dans la clarté fragile de la mélodie en léger rubato, portée par une main gauche ondoyante, avant l’apothéose du chant déclamé par toutes les voix réunies d’un chœur imaginaire.
Quelle œuvre requiert davantage la transcendance que Saint-François d’Assise, La prédication aux oiseaux, première des deux Légendes de Liszt? La volubilité des trilles perchés dans l’aigu, finement modulés dans leurs intensités, comme animés d’infimes variations de lumière, semble évoquer non pas seulement les chants d’oiseaux dans leur traduction pianistique, voire descriptive, mais ce qu’ils représentent de purement céleste, immatériel. Le chant à nu dans le médium incarne lui le personnage, Saint-François d’Assises. Arcadi Volodos en expert de la mise en scène, manie ici encore le contraste, mais autrement que dans la Ballade, cette fois entre l’appartenance humaine et l’élévation divine. Lorsque le babillage des trilles cesse, le silence vient s’habiller à son tour du sentiment divin, enveloppant la parole du Saint, jusqu’à la dernière et surnaturelle vibration dans les hauteurs du clavier. Une merveille.
Bien qu’enchaînée, la deuxième partie du concert est consacrée à la musique de Schumann. D’abord, Marsch, extrait des Bunte Blätter opus 99. Le pianiste marque de noblesse et de puissance expressive son funèbre pas, colorant les massifs accords de l’intérieur, écoutant leurs résonances. Le trio n’est qu’un intermède provisoire à l’apparente légèreté, avant la reprise de la marche, encore plus dense, encore plus pesante, encore plus éprouvante émotionnellement. La Grande Humoresque en si bémol majeur opus 20 surprend au début, par son tempo distendu, relâché, voire discontinu, à vouloir s’attacher à trop de détails. Les humeurs se succèdent plus ou moins heureuses. Après un épisode où Arlequin semble danser devant nous, le temps redevient à nouveau élastique, paraissant suivre les fluctuations d’un rythme intérieur, d’une pensée introvertie et hésitante, par moments dans une lenteur qui retient le cours du chant. Cette longue fresque se trouve alors difficile à soutenir dans son déroulement, tant ses élans sont bridés, raccourcis. Une interprétation qui ne convainc qu’assez moyennement. Le succès auprès du public est néanmoins sans réserve et comme à son habitude, Volodos offre la générosité de cinq bis: un énigmatique et tendre Oiseau prophète de Schumann, deux menuets et l’Impromptu hongrois de Schubert, et El Lago de Monpou, toujours aussi magique!
Jany Campello
Le festival se poursuit jusqu’au 21 août. Prochains concerts sur: http://www.festival-piano.com
crédit photos: Christophe Grémiot