Chroniques

FESTIVAL DE SALON DE PROVENCE, ACCENT BULLE

Accent bulle, c’est ce petit rond tchèque qui se trouve sur le u de Martinu. Le 4 août, nous voici à nouveau dans la cour du château de l’Empéri pour le treizième concert sur les 23 que compte le Festival. Le mistral qui souffle depuis trois jours s’est renforcé et secoue sans ménagement les platanes et les structures environnantes. Mais il en faudra davantage pour troubler le concert qui alterne trios et quintettes, et commence avec le Trio pour flûte, violoncelle et piano H.300 de Bohuslav Martinu, rendant hommage à ce compositeur de la première moitié du XXème siècle dont l’excellente musique de chambre demeure encore trop peu jouée, bien que tonale. Quoiqu’exilé, sa musique ne verse pas dans l’accablement, ce trio en est la démonstration. Emmanuel Pahud, Jean-Guihen Queyras et Éric le Sage en donnent une interprétation éclatante: la flûte irradie le premier mouvement de la lumière de son timbre, l’adagio par l’intensité de son lyrisme, la densité de son propos, nous entretient dans sa confidence, et le dernier mouvement virevolte, animé d’une joie aérienne. 

Louis Vierne est encore moins fréquent au concert, et cela est bien dommage à en juger par la singularité attachante et la richesse de sa musique. L’homme, né en 1870 quasiment aveugle, fut élève de César Franck et Charles-Marie Widor. Une succession de tragédies marque sa vie à partir de l’année 1906: maladie, divorce, déboires professionnels, mort de ses fils…Rien de facile pour lui, et c’est au prix d’efforts colossaux qu’il compose, sa cécité s’aggravant. Son Quintette pour piano et cordes opus 42 qui porte les stigmates de ses souffrances sera son chemin de croix, un accomplissement: « je mènerai cette œuvre à bout avec une énergie aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible… » écrit-il à un ami. Les interprètes (Daishin Kashimoto, Natalia Lomeiko, Joaquín Riquelme García, Claudio Bohórquez, et Éric Le Sage) transcendent cette musique sombre et poignante: dans le premier mouvement, un épisode lyrique soutenu tente de dompter l’agitation souterraine du début, puis la tension dramatique s’accentue dans le tissu épais des cordes et sur les notes répétées à l’unisson, la violence s’exprime dans un lyrisme cette fois déchirant avant l’apaisement final. Le larghetto sostenuto à l’humeur instable s’assombrit au fil des mesures, s’enfonce dans de profonds pianissimos et la texture grave des cordes. Le dernier mouvement se réclame Maestoso, majestueux: dans une constante recherche de couleurs, les musiciens en brossent les climats intérieurs, soulignant son caractère puissamment combatif. Que jouer après telle musique, si ce n’est le Notturno D 897 du plus familier Schubert? Suspendu dans le temps, dans la nuit chahutée par le vent, il arrive comme un baume, sublime et consolateur. 

L’alto de Yuri Zhislin rejoint, pour finir les deux violons, le violoncelle et la contrebasse d’Olivier Thiery, pour le Quintette opus 77 de Dvorák, qui clôture le concert dans une légèreté retrouvée. On apprécie l’équilibre idéal de l’ensemble, depuis l’allegro con fuoco brillant et victorieux, puis le scherzo au parfum de musique traditionnelle tchèque. L’andante fait fondre l’archet du violon dans sa suavité mélodique, et l’allegro final fait oublier toutes les misères du monde. Comme la musique, le mistral a définitivement chassé les nuages, et nous projette déjà dans les concerts à venir, tous très prometteurs. 

Jany Campello

(Concert enregistré par France Musique. Date de retransmission non communiquée)

Crédit photos: Aurélien Gaillard

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