Chroniques

FESTIVAL IDÉAL AU POTAGER DU ROI

Germés l’an dernier après le premier confinement, les concerts au Potager du Roi à Versailles, reprennent de plus belle tout ce mois de juillet. Cette deuxième édition, plus étoffée, a été conçue tel un « IDÉAL » qui par la musique, nous remet en lien avec la nature, celle végétale, terrestre, mais aussi celle humaine. Bienfait pour chacun et pour l’humanité entière, la musique mérite qu’on se batte pour elle. Tel est le credo de Jean-Paul Scarpitta, son directeur artistique.

 

Le concert, un rite éternel selon Jean-Paul Scarpitta

Jean-Paul Scarpitta @Jean-Paul Scarpitta

Avec près de quarante concerts, ce festival affiche l’ambition de remettre la musique vivante, trop longtemps interrompue par l’épisode pandémique, au centre de la destinée humaine. Né l’année dernière d’un élan spontané et collectif, il a été bâti en un temps record pour permettre aux musiciens de retrouver la scène et le public. David Fray et les membres du quatuor Modigliani s’étaient fait les porte-parole d’une pléiade de musiciens auprès de Jean-Paul Scarpitta qui n’a eu aucun mal à convaincre la Présidente de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, sensible au projet présenté et déterminée à apporter son aide. « Il fallait trouver l’endroit : nous avons cherché un lieu de nature. Les frais à engager ne devaient pas être trop importants. Rapidement nous est venue cette idée du Potager du Roi. L’École Nationale Supérieure de Paysage à demeure ici a immédiatement adhéré au projet et nous a accueillis. Nous nous sommes installés de façon « champêtre » et les concerts ont commencé seulement quatre semaines après les premières démarches. Cette année nous avons pu mieux nous équiper et nous organiser. » 

L’esprit de solidarité, le désir impérieux de résister ont animé cette volonté de mettre en œuvre ce projet. Participant de ce mouvement, les artistes étaient venus jouer en contrepartie de cachets très bas. « J’ai obtenu cette année le soutien de la Commission Européenne, ce qui permet à chaque artiste de toucher désormais son cachet intégral. Nous avons bon espoir que ce soutien s’accroisse l’an prochain. Sans l’Europe, on ne pourrait rien faire pour ce vivier de talents qu’est la jeunesse actuelle, un vivier à l’échelle européenne ! Or il faut que la relève se fasse, que la transmission ait lieu, même si nous n’en avons pas fini avec cette crise sanitaire qui continue à porter durement son impact. » 

Jean-Paul Scarpitta constate cependant les effets positifs du confinement : « l’envie des musiciens de restituer leurs talents s’est accrue. On a découvert qu’ils étaient prêts à se battre pour la musique, pour retrouver leur public, qu’ils pouvaient y mettre toute leur énergie. C’est pour cette raison que des artistes de grande notoriété comme Gérard Depardieu, Carla Bruni et Fanny Ardant sont venus par amitié et ont décidé de participer à leur manière, avec leur générosité, à la programmation de ce festival, avec pour seule motivation celle de soutenir les jeunes musiciens. Nicholas Angelich qui viendra jouer le concerto l’Empereur de Beethoven avec le jeune orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière, Renaud Capuçon, François-René Duchable, Gérard Caussé ont réagi de la même façon. » 

On entre au Potager du Roi par une grille qui donne sur une avenue versaillaise. Un autre monde au cœur du monde urbain. Il faut traverser tout le Potager et longer ses parterres délimités par des fruitiers en espaliers, croiser au passage le créateur du lieu, Jean-Baptiste de la Quintinie…La scène se trouve tout au fond dans un endroit retiré, presque secret, ceint de murs. Là, les arbres qui bruissent, le chant des oiseaux, le ciel. « La musique n’est pas une culture, mais un besoin de la nature. Elle est en lien avec les sentiments, comme avec les arbres, avec ce qui se passe ici au Potager du Roi. Aux siècles passés on jouait de la musique dans les jardins, comme le montre cette peinture de Fragonard (« La fête à Saint-Cloud » qui illustre le programme, ndlr). Nous nous sommes installés ici pour nous rapprocher de la nature. Le ciel n’y est pas le même qu’à Paris. Il est fascinant. On a l’impression que les tableaux peints autrefois sont vivants, nous les voyons dans ces nuages, ces arbres. La musique est dans ce ciel, dans les arbres et dans le vent, dans le chant des oiseaux, de la même façon elle est en nous. » Ici c’est une nature cultivée, travaillée, domestiquée, qui se fait l’écrin du « rite immuable » du concert, et de ses émotions irremplaçables. Un endroit où la beauté du geste du musicien vient se joindre à la beauté du geste du jardinier, où l’utile et le terrestre est poésie autant que l’impalpable univers des sons mêlés de la nature et des instruments. 

La musique sous toutes ses formes

La scène surélevée est en plein air, couverte d’une structure translucide ornée de lierre qui laisse entrer le ciel et abrite des intempéries. En toile de fond, un voile léger joue avec la brise. Des chaises de jardin, semblables à celles du Luxembourg ou des Tuileries, sont disposées en rangs devant la scène. On s’installe où l’on veut. Le concert peut commencer. La veille Gérard Depardieu a chanté Barbara. Ce soir, Carla Bruni était accompagnée d’un sextuor à cordes.  Les soirs qui suivront nous entendrons beaucoup de musique de chambre, des récitals, et aussi du chant, beaucoup de chant (mélodies, chansons, airs d’opéras). On sait l’importance qu’a la voix dans l’univers musical de Jean-Paul Scarpitta. Patricia Petibon, Ambroisine bré, Cyrille Dubois, Anne-Marie Suire, Sandrine Piau, Sonya Yoncheva… voilà une affiche enchanteresse suffisamment rare pour qu’on la retienne ! De la mélodie aux airs d’opéras, mais aussi aux chansons et textes dits par Fanny Ardant, la musique s’y rencontre sous toutes ses formes. Jean-Paul Scarpitta veut clamer de cette façon que « la musique classique n’est pas un art élitaire, mais profondément populaire. En Italie on chantait les airs d’opéras dans la rue ! » 

Des cordes lumineuses pour le premier week-end

Les programmes composés avec soin donnent à entendre des œuvres pour certaines connues, d’autres moins. Ce soir du 3 juillet, ce sont Aylen Pritchin et Maxim Emelyanychev que nous écoutons dans un programme pour violon et piano. Pièce néoclassique de Stravinsky tirée de son ballet Pulcinella, la Suite d’après des thèmes, fragments et morceaux de Giambattista Pergolesi nous a séduits pas sa grâce et son aérienne légèreté (Tarentella, bavarde et vive comme une nuée d’oiseaux, et énergie très « à la russe » de son Finale particulièrement enthousiasmantes!). Dans la Sonate pour violon et piano de Debussy, ce sont des trésors de délicatesse et de volupté qu’ensemble ils ont déployés : beau violon aux aigus fins et flûtés, aux graves veloutés, sur un piano poète… Les sons impalpables du rêve ! La Sonate pour violon et piano de Poulenc (composée à la mémoire de F. García Lorca) nous change d’univers. La noirceur, le mordant, l’âpreté parfois, et l’emphase du premier mouvement laissent place à la langoureuse et vibrante cantilène de l’intermezzo, puis au second degré du presto tragico, d’une gaité trop démonstrative pour être vraie : tout l’esprit de Poulenc est là sous leurs doigts ! Tzigane de Ravel nous captive immédiatement, par le son plein et rond de sa déclamation très yiddish, que le violon-rhapsode et son piano complice font ensuite voler en éclats subtils.

Les deux concerts du dimanche 4 juillet étaient consacrés aux cordes, celles de deux des meilleurs quatuors de la jeune génération : le quatuor Arod et le quatuor Hanson. Les Arod recomposés (avec désormais Tanguy Parisot à l’alto et Jérémy Garbarg au violoncelle, dont on saluera les belles présences respectives), ont brillé dans le Quatuor en sol majeur op.76 n°1 de Haydn, par l’élégance, l’équilibre et la pétillance qui les caractérisent. Le début orageux du Quatuor op.80 de Mendelssohn aura déclenché la pluie, le public se réfugiant alors sur scène, sur l’invitation des musiciens, les entourant de son admirative et bienveillante écoute. Une expérience nouvelle et inattendue d’une proximité physique avec les artistes et les corps de leurs instruments, vécue dans sa spontanéité et agissante sur l’interprétation des Arod, plus fougueuse que jamais ! 

Le quatuor Hanson donnait une heure plus tard, en prélude à la nuit, entre chien et loup, le Quatuor n°11 en fa mineur op.95 de Beethoven : très remarqué également dans Haydn (écoutez leur album « All shall not die »), il nous a impressionnés par sa cohésion et la densité, la profondeur données à cette œuvre intitulée « Quartetto Serioso », qui annonce les derniers opus du compositeur. Les Hanson chantent d’un puissant legato magnifiquement soutenu, et quand ils ne chantent pas, c’est qu’ils écoutent les silences, retiennent leur souffle, suspendent le temps comme dans l’émouvant larghetto. Ils font montre d’une force expressive qui n’appuie pas le pathos, mais donne donne une grande tenue à l’œuvre, que l’on doit notamment à la discrète et noble présence de son violoncelle. Gabrielle Lafait (alto) et Simon Dechambre (violoncelle) ont rejoint ensuite les Arod pour interpréter, à la demande expresse de Jean-Paul Scarpitta, le Sextuor Souvenir de Florence op.70 de Tchaïkovski. Une œuvre d’une grande intensité que l’on a eu plaisir à retrouver ou à découvrir, tant elle est rare en concert.

Sous les archets d’autres interprètes dont Valeriy Sokolov et Fanny Clamagirand, on retrouvera un autre sextuor le soir du 13 juillet, qui promet de faire briller les étoiles : la fascinante Nuit transfigurée op.4 de Schönberg. Les sourires renaissants éclaireront à nouveau les visages, comme en plein jour, comme ils les ont éclairés à l’issue de ces tout premiers concerts : « Avec la musique, avec les concerts, c’est la joie qui est là, la joie essentielle, la plus céleste, la plus solaire ». 

Jany Campello

(en italique : propos de Jean-Paul Scarpitta recueillis le 4 juillet 2021)

Festival Idéal au Potager du Roi, Versailles, du 1er juillet au 1er août 2021. 

(photos de la rédaction)

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