Chroniques

FESTIVAL ROSA BONHEUR, UN TEMPS POUR ELLES

« Un temps pour Elles » …Elles, ce sont les compositrices, et elles sont nombreuses, du 12ème siècle à nos jours, à avoir été oubliées ou même effacées. Les voici réhabilitées, sorties de l’ombre par deux artistes engagées et passionnées, Héloïse Luzzati et Lou Brault, et la pléiade de musiciennes et musiciens qu’elles ont mobilisés dans leur tout nouveau Festival Rosa Bonheur depuis le 24 juillet et jusqu’au 20 septembre pour leur rendre honneur et justice. Le lieu? Le château de l’artiste-peintre Rosa Bonheur, à By-Thomery, près de Fontainebleau. Tout un symbole!  

Connaissez-vous Rosa Bonheur? 

Rosa Bonheur, artiste-peintre la plus illustre et la plus vendue de son siècle, consacra sa vie à la peinture animalière. Née en 1822, elle vit de son art dès l’âge de quatorze ans, et c’est en 1859 qu’elle acquiert le château de By à Thomery, avec l’argent de la vente d’un unique tableau: le célèbre Marché aux chevaux. Cette « Vestale de l’art », comme elle aime se qualifier, n’a d’autres passions que l’amour des animaux, de la nature et de son art, et meurt dans ce château en 1899, laissant une œuvre abondante. Cette femme indépendante, d’une force de caractère et d’une détermination hors du commun, ne dut sa réussite qu’à elle-même et à son talent. Rien d’étonnant à ce que des personnalités telles que l’Impératrice Eugénie elle-même, Buffalo Bill, Victor Hugo et encore bien d’autres de ses illustres contemporains lui aient témoigné leur admiration!  Parmi ceux-là, des musiciens aussi, et pas des moindre: Bizet, Massenet et même Debussy, la grande diva Caroline Miolan-Carvalho…Le piano Erard, qui occupe toujours, dans son atelier, sa place d’origine, témoigne de la présence de la musique dans sa vie, présence incarnée aussi par sa « fille d’adoption » et légataire, Anna Klumpke, artiste-peintre, mais aussi musicienne, dont la sœur Julia était violoniste et dirigeait un orchestre! Un destin exceptionnel que celui de Rosa Bonheur, qui lui valut de son vivant pas moins de quatre biographies…et puis arriva la modernité, le 20ème siècle, qui l’oublia. 

Le cercle des compositrices disparues

À l’instar de cette artiste, de cette femme qui donna tout à son art, combien de femmes musiciennes et compositrices eurent des destinées comparables, remarquées par leurs contemporains, adulées pour leur talent, la qualité de leurs œuvres souvent abondantes… puis au fil du temps disparaissant de la mémoire et des catalogues des éditeurs! 

Héloïse Luzzati et Lou Brault co-directrices du Festival Rosa Bonheur, partagent un engagement puissant en faveur de la découverte et la reconnaissance de ces compositrices et de leurs répertoires. Fortes d’un énorme travail de recherche et de conception, elles ont monté en un temps record (quinze jours!) ce festival, dans ce lieu emblématique et authentique qu’est le château de Rosa Bonheur, propriété depuis quelques années de la maman de Lou, Katherine Brault. Incroyable lieu que l’on peut visiter (l’atelier et le parc), rare parce qu’intact, dans son jus, suivant la volonté de ses propriétaires successifs et en particulier celle désormais de Katherine Brault, qui ne cache pas son émotion lorsqu’elle nous en parle.

Atelier de Rosa Bonheur, château de By

 Ainsi le festival a réussi ce prodige de présenter 21 compositrices, avec 18 concerts échelonnés sur deux mois, installant ainsi sur la durée une présence bien appréciable pour goûter, les week-end, à leur découverte. Parmi ces compositrices, il y a celles que l’on connaît, plus ou moins: Fanny Mendelssohn, par exemple, ou encore Mel Bonis, Cécile Chaminade, Germaine Tailleferre, Lili et Nadia Boulanger… Un peu plus loin dans le temps Élisabeth Jacquet de la Guerre, Barbara Strozzi dont les œuvres ont été enregistrées. Mais qui connait Beatriz Dia (12ème siècle), Emiliana de Zulbedia (20ème siècle), Isabella Leonarda (17ème siècle), Hélène de Montgeroult (18-19ème siècle), Henriëtte Bosmans (qui a entretenu une correspondance avec Benjamin Britten-20ème siècle), Augusta Holmès (19ème siècle), Elfrida Andrée (19-20ème siècle), Louise Farrenc (19ème siècle), et enfin Clémence de Grandval, l’exacte contemporaine de Rosa Bonheur (1828-1907)?

Clémence de Grandval, la Rosa Bonheur de la musique 

Nous voici donc au château ce samedi 28 août pour écouter justement la musique de Clémence de Grandval. Cette musicienne (voir notre vidéo à venir) grandit dans un milieu baigné par la musique et montre très tôt des dispositions et un goût définitif pour l’art de la composition. Élève de Saint-Saëns avec lequel elle entretiendra une correspondance (110 lettres!), elle a pris aussi des cours avec Chopin. Elle est pianiste, chanteuse lyrique, et compose de tout: de la musique de chambre, 60 mélodies, des œuvres symphoniques, des opéras, des œuvres sacrées…un catalogue colossal! Elle est reconnue, appréciée et, comble de son succès, voit une de ses symphonies dirigée par Hector Berlioz. C’est dire! « Seulement aujourd’hui, on ignore tout cela. Allez chez le meilleur libraire musical, vous trouverez tout au plus une poignée de partitions éditées, pour instruments à vents et piano. C’est à dire trois fois rien au regard de l’ampleur de son œuvre! » nous dit Héloïse Luzzati. C’est donc à la BNF que nos musiciennes sont allé dénicher les partitions des pièces jouées au concert. 

Une musique inouïe…

Nous entrons dans la bâtisse de brique et passons par l’actuel salon de thé, auparavant l’endroit où étaient soignés les chevaux avant de regagner l’écurie. Comme il pleut le concert n’aura pas lieu sur la scène aménagée dans le parc, mais dans ce qui paraît être l’orangerie, dans le prolongement de l’écurie. Une belle lumière provenant des grandes vitres donnant sur le jardin, vient cependant éclairer les pupitres. Deux tapis d’orient ont été disposés sous le piano pour atténuer l’effet acoustique. On s’installe, promenant nos regards sur le décor sobre et suranné des murs verts. Douce ambiance. Laurianne Corneille au piano, Héloïse Luzzati au violoncelle, et Alexandre Pascal au violon interprètent en remontant le temps des pièces de musique de chambre. On écoute pour commencer l’Andante et Intermezzo pour violon, violoncelle et piano, composés en 1890, à l’âge de 62 ans. L’oreille est immédiatement capturée par le très beau cantabile de l’Andante et sa force lyrique. On y découvre un vocabulaire éminemment personnel, dans une écriture riche et très aboutie. L’Intermezzo charme par ses beaux échanges, la fluidité de son propos, son écriture équilibrée et sans lourdeur. Clémence de Grandval séduit et impressionne par son art de tisser, d’entrelacer les voix ensemble. Sa musique chante aussi dans les phrasés amples de la Romance suivie de la Gavotte, pour violon, violoncelle et piano, composées en 1884. L’influence de Saint-Saëns y est perceptible, quoique discrète. La Gavotte menée avec vigueur est originale et très colorée. Sa partie centrale plus mélodique offre un agréable contraste par son côté pastoral. Beaucoup de variété et d’inventivité également dans les Trois pièces pour violoncelle et piano datées de 1882. La première en mode mineur est empreinte de gravité, la seconde apporte dans le balancement de son rythme et sa belle humeur, un climat de légèreté, la troisième a des accents slaves faisant penser aux rythmes et figures mélodiques d’Europe centrale, et se termine par une cadence pleine d’esprit. La Musette pour violon et piano est aussi une pièce de caractère, inspirée de la musique tzigane: n’y entendons-nous pas un rhapsode sur la place de quelque village? Enfin le concert se termine par une œuvre de jeunesse, composée en 1853: le 2ème grand Trio, en quatre mouvements. Son Allegro chante à pleines voix sous les archets, tandis que le piano déploie des arabesques infinies et virtuoses dans l’aigu. On croirait entendre un concerto de Chopin! La partition semble tout aussi redoutable dans le Scherzo, très enjoué, d’une vivacité captivante d’un bout à l’autre. Le Tempo di minuetto a quelque chose de schubertien, dans son élégante et tendre simplicité. Le Finale est lui brillant, inventif, lyrique…Il semble préfigurer une scène d’opéra avec ses personnages!

 

 

On sort conquis par la qualité de cette musique, et ses plaisirs sonores. Comment ne pas songer alors aux œuvres lyriques et orchestrales de plus grande envergure, sans ressentir l’envie de les entendre un jour? Voici une compositrice qui a largement sa place auprès de ses homologues célèbres du 19ème siècle, et qui  éclipserait par son talent bien des compositeurs beaucoup moins éblouissants et pourtant promus ces derniers temps, comme par exemple Fernand de la Tombelle, qui fait bien pâle figure en comparaison! Bon, acceptons qu’il y ait une place pour chacun…a fortiori pour Clémence de Grandval, et quelle place!

Des compositrices, mais pas que…

On n’en a pas fini avec elle, dont des mélodies seront interprétées le lendemain par Cyril Dubois et Tristan Raes, au voisinage de celles de Franz Liszt, Marie Jaëll et Saint-Saëns. Mais que font ces compositeurs dans la programmation? Et bien quelle intelligence justement! Il ne s’agit pas pour Héloïse Luzzati de mettre chacun et chacune dans leurs camps respectifs, un festival de femmes compositrices versus tous les festivals masculins. Non, pas d’ostracisme, mais au contraire, présenter ces créatrices dans leur environnement humain, avec les œuvres des compositeurs qu’elles ont connus, ou pu connaître, laissant parfois apparaître les liens qui les rapprochaient, voilà pour elles la juste option. Ainsi Henriëtte Bosmans et Britten, Lili Boulanger et Fauré, Félix et Fanny Mendelssohn…Ah, aurait-on oublié nos créatrices contemporaines? Cette première édition ne les a pas laissées de côté et présente des œuvres de Kaija Saariaho et de la jeune Camille Pépin. C’est vrai, elle ne sont pas nombreuses, mais le passif à rattraper était tel! Les organisatrices nous assurent que les éditions prochaines leur feront honneur autant qu’il se doit…En attendant, elles et Katherine Brault n’ont pas fini de fouiller dans les greniers du château, où elles ont sorti des vieilles malles, costumes de scène et partitions… 

Jany Campello

Réservations: http://www.chateau-rosa-bonheur.fr

Photo-reportage : http://photomusic.fr/rosa-bonheur

(crédit photos: Manuel Gouthière)

1 commentaire

  1. […] Corneille durant le Festival Rosa Bonheur / Crédit photo Manuel Gouthiere – A suivre sur Culture […]

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