Au fil des sillons

FLEURS, PAR MELODY LOULEDJIAN ET ANTOINE PALLOC

Elles ne sont pas de saison? Fausse idée. La soprano Melody Louledjian et le pianiste Antoine Palloc nous invite à les cueillir en plein cœur de l’hiver, et par brassées. Ce sont les « Fleurs », une soixantaine de mélodies françaises rassemblées en un CD récemment édité par le label Aparté. Un bouquet de poèmes à la grâce et aux parfums irrésistibles mis en musique par Jean Wiener, Darius Milhaud, mais encore Érik Satie, Lili Boulanger, Arthur Honegger…

 

Sous le charme de fleurs en-chantées 

Ce n’est pas à Grasse, ni même sous les tropiques, mais curieusement dans un jardin anglais que l’on trouve Le Gardénia… C’est du moins ce que prétend Robert Desnos, en fin poète botaniste, et c’est avec cette fleur embaumante qu’éclôt la première mélodie du recueil Les Chantefleurs, 50 miniatures composées en 1957 par Jean Wiéner. Ce cycle vient nous rappeler que l’auteur des musiques de Touchez pas au grisbi, de La Femme et le pantin, et de plus de trois cents autres films, a aussi composé abondamment pour le répertoire classique, en particulier pour le piano, et ici pour la voix. Qui imaginerait que ces poèmes de Desnos, portraits de fleurs ou tout comme, semés de jeux de mots et d’idées, et parsemés d’humour, de fantaisie, de gaité, ont été écrits pendant la Résistance? La musique de Jean Wiéner, toute aussi savoureuse que ces bonbons de jardins, épouse leurs textes à merveille, en souligne les rythmes et les teintes, les traits d’esprit par le ton qu’elle emploie tout en finesse, et par ses références multiples. Grandville peut ranger les planches de ses Fleurs animées, celles de Wiéner/Desnos prennent vie dans ces mélodies pleines de verve et hautes en couleurs, admirablement interprétées par les deux artistes.

Il faut tout un art pour rendre les caractères de ces courtes pièces: passer de la réjouissante polka alsacienne du Bégonia au tendre et délicat pastel de La Rose, du blues et des langueurs de La Pivoine à l’exotisme coloré du Glaïeul, de la nocturne barcarolle de La Fleur d’oranger à la revue music-hall du Bouton d’or, de la lascive et suggestive Renoncule à la charade du Lilas, de la lumineuse fraîcheur du Muguet à la bossa nova de Mimosa chanté façon Brigitte Bardot, de La Digitale, orgueilleuse diva, à la rêveuse Belle de nuit…jusqu’au Soleil qui n’est autre que le tournesol, et au Coucou, autre nom de la primevère sauvage. Melody Loudedjian et Antoine Palloc possèdent cet art et nous en disent long sur le langage des fleurs: avec quel sourire et quel plaisir nous initient-ils à leurs fragrances musicales, leurs symboles, et leur palpitante grâce!

Non loin de Wiéner, Darius Milhaud, membre des Six qu’il fréquenta, a auparavant composé lui aussi un cycle dédié aux fleurs, mais plus court. Son Catalogue de Fleurs opus 60 en a seulement sélectionné sept, sur des poèmes de Lucien Daudet. À l’approche imagée et ludique de Desnos, Daudet oppose une « démarche commerciale » d’une poésie toute…prosaïque! Et sur ses textes joliment descriptifs qui vantent les atours de ces espèces choisies, et donnent au passage quelques conseils aux jardiniers en herbe – on les croirait extraits d’un catalogue de vente! – Milhaud pose une musique aux harmonies subtiles, lumineuses et fraîches, à l’apparente simplicité, chantée avec élégance et naturel par Melody Louledjian. Un autre des Six, Arthur Honegger, apparait avec sa Nature Morte de 1917 et sa fleur tombant ses pétales, dont on ne nous dévoile que la couleur…Générique, le poème Les Fleurs  mis en musique en 1886 par Érik Satie, est un hommage, au charme suranné, tandis que la mélodie Deux Ancolies, écrite en 1913 par Lili Boulanger sur un poème de Francis Jammes, nous touche par l’émouvante et délicate beauté de son mouvement. Enfin L’Âme des Roses, écrite par René de Buxeuil pour la chanteuse Berthe Sylva, célèbre la rose et la femme, dans sa séduisante valse aux accents chaleureux, apportant sa dernière touche au bouquet.

Un bouquet tout en légèreté que nuls autres interprètes n’auraient mieux présenté. Melody Louledjian, magnifique artiste de la scène lyrique, révèle côté jardin une facette inattendue et enchanteresse de son talent: pétillante, candide, joueuse, enjôleuse, sensuelle, malicieuse, elle prête à ces chansons l’épanouissement de sa voix de printemps, radieuse et fraîche, dans une diction parfaite, avec un naturel désarmant et un goût incomparable. Le pianiste Antoine Palloc se montre un attentif et excellent compagnon, à la fois discret et présent, colorant son jeu précis des plus subtiles nuances, en parfait accord avec les couleurs de la voix, sachant l’assaisonner de piquant lorsque le texte l’y invite.

Alors, ne résistons pas: d’Angleterre ou de Viroflay, rendons-nous avec eux au jardin, et comme dit une autre chanson, vive la rose et le lilas! 

Jany Campello

à écouter:
Fleurs, par Mélody Louledjian, soprano, et Antoine Palloc, piano. Wiéner, Milhaud, Satie, Boulanger, Honegger, Buxeuil, 1CD, label Aparté 2020.

crédit photo: Lionel Monnier

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