Chroniques

LE 14ème CONCOURS INTERNATIONAL DE PIANO ALBERT ROUSSEL

La 14ème édition du concours international de piano Albert Roussel, fondé par la pianiste et pédagogue Germaine Mounier et présidé depuis deux ans par la pianiste Aïda Marcossian, s’est déroulée du 15 au 19 septembre 2020 à la salle Cortot à Paris. Sur la pléiade de candidats de toutes nationalités, tous d’excellent niveau, six ont remporté un Prix, décerné par un jury rassemblant des personnalités musicales de haut rang. Retour sur les grands moments de ce concours, palmarès et portraits des lauréats en mots et en images…

 

Le concours aurait pu être annulé, et reporté l’année prochaine, comme bon nombre d’autres manifestations. Cela aurait été sans compter sur la ténacité de sa courageuse et battante présidente, Aïda Marcossian, qui l’a porté à bout de bras, dans les conditions que l’on imagine. Auparavant il se déroulait à Sofia en Bulgarie. Désormais ce concours qui honore la mémoire de sa fondatrice, et celle du compositeur français Albert Roussel, a pris ses nouveaux quartiers à Paris, salle Cortot. Décision chargée de sens, eu égard aux liens historiques de la pédagogue et du compositeur avec l’École Normale de Musique de Paris et sa fameuse salle de concerts. 

 

Le palmarès

Sur les 28 candidats inscrits, originaires de plusieurs pays, 19 ont pu présenter le concours, 9 ayant été empêchés par les contraintes liées à la situation sanitaire. Les épreuves éliminatoires ont abouti à la sélection de 9 candidats, par le jury formé de Aïda Marcossian (présidente), Nathalie Béra-Tagrine, Olivier Gardon, Jean-Marc Luisada, Bruno Rigutto, Caroline Sageman, Stéphane Friédérich et Erik Wickström. Elles consistaient en un récital comportant un morceau d’Albert Roussel (La Ronde, ou une autre pièce), une œuvre d’un compositeur de la nationalité du candidat, ou ayant résidé dans son pays, une œuvre classique ou romantique, et une œuvre de Fauré à nos jours. Ces 9 candidats étaient ensuite entendus en finale dans un concerto pour piano de leur choix, la partie d’orchestre exceptionnellement cette année sur un second piano, avec la participation précieuse et efficace de la pianiste Alexandra Matvievskaya, musicienne et accompagnatrice de grande valeur.  

Le concours attribue en principe un premier, deuxième et troisième Prix. Un palmarès atypique couronne cette édition, tant il a été difficile pour le jury de départager les candidats en dehors du premier Prix: pas de troisième Prix, mais quatre deuxièmes Prix  ex-aequo. 

 

Les lauréats

Premier Prix Albert Roussel: 

Nanami Okuda (Japon)

Deuxièmes Prix ex-aequo (par ordre alphabétique): 

Ayame Ishise (Japon)

John Gade (France)

Sayoko Kobayashi (Japon)

Tsubasa Tatsuno (Japon)

Le Prix Spécial Germaine Mounier (pour l’interprétation l’œuvre d’Albert Roussel) a été attribué à Dimitri Malignan. 

 

Une finale de haut vol

Tous les candidats admis en finale ont présenté une prestation de très haute tenue. Les français Virgile Roche et Paul Drouet (remarquable notamment dans Le jeu des contraires de Dutilleux), la japonaise Honoka Nakatsugawa, le taïwanais Darren Sheng, qui n’ont pas remporté de prix, ont fait preuve de belles qualités musicales et de maitrise technique. La japonaise Nanami Okuda s’est distinguée assez nettement, tandis que les quatre autres candidats récompensés, dotés de personnalités très différentes, se sont rejoints dans les appréciations notées du jury, trop peu « distanciés » les uns des autres pour que celui-ci puisse en sélectionner deux, et différencier leurs récompenses.

 

Nanami Okuda, Premier Prix Albert Roussel

Nanami Okuda, âgée de 26 ans, a obtenu son diplôme de concertiste de l’École Normale de Musique de Paris en 2018. Depuis 2019, elle poursuit sa formation au CNSM de Paris dans la classe de Franck Braley et de Haruko Ueda. 

Le parcours de Nanami Okuda au fil des épreuves est apparu très égal. Elle a su mettre en valeur ses qualités d’interprète par un choix d’œuvres judicieux, équilibré et bien agencé lors du récital. S’il a manqué un rien d’imagination et de couleurs pour rendre vivant Le Carillon de Cythère de Couperin, sa pièce d’ouverture, la suite de son programme a été enthousiasmante. La Ronde de Roussel, très maîtrisée dans la succession de ses passages et dans la clarté d’un jeu soulignant l’enchevêtrement de l’écriture, a conquis par sa folle gaité. A suivi une époustouflante interprétation de sa pièce contemporaine, Jeux de doubles de Thierry Escaich, jubilatoire, colorée, redoublant d’énergie et d’effets dynamiques. Le corps du récital était formé de deux pièces de Liszt: le Sonnet de Pétrarque 123 et Après une lecture de Dante, de la deuxième année de Pèlerinage: autre registre, où cette fois le chant et la poésie ont eu large place. Magnifique Sonnet, très inspiré et habité, dans l’écoute de ses respirations. Souci de l’expressivité du détail et des transitions, dans Après une lecture de Dante, puissance orchestrale, éclairages bien étudiés, lyrisme jusqu’au paroxysme dans le grand crescendo précédant la fin. Pour la finale, elle avait choisi le Concerto n°1 en mi mineur de Chopin: une interprétation pleine de charme et de profondeur, aux élégantes lignes de chant en volutes, timbrées et ourlées, soutenues par un beau legato. Beaucoup d’esprit et de rebond dans la Krakoviak éclatante du dernier mouvement. 

 

Ayame Ishise, Deuxième Prix ex-aequo

Ayame Ishise, âgée de 26 ans, est étudiante en perfectionnement à l’École Normale de Musique de Paris

Pour son récital, Ayame Ishise avait choisi « Des heures passent opus 1 n°2 : Joyeuses », d’Albert Roussel, puis de Debussy, Feux d’artifice, extrait du Livre II des Préludes. Suivaient la Rhapsodie Hongroise n°12 de Liszt et enfin sa pièce maîtresse, la Sonate n°6 de Prokofiev. Sidérant le jury par sa technique foudroyante, par l’étincelante vivacité de son jeu digital, elle a conquis l’auditoire par sa personnalité, dans ce programme à sa mesure. Elle fut la seule à présenter, en finale, un concerto de Tchaïkovski, le Concerto n°1 en si bémol mineur opus 23. Dominant la partition, elle a fait preuve d’une qualité d’écoute dans le premier mouvement, timbrant ce qu’il faut à l’intérieur des traits notamment. Elle a habillé de tendres sonorités le bercement du mouvement lent, articulé de près, aéré de belles respirations. Le dernier mouvement, pris à une vitesse hallucinante, manquait d’assise. Si la rapidité des doigts a pu exercer une fascination, l’ampleur sonore a fait défaut à la fin, la pianiste ne parvenant pas à lui donner pleinement sa largeur symphonique, par manque de poids, après un grand crescendo pourtant bien amené.

 

John Gade, Deuxième Prix ex-aequo

John Gade, âgé de 23 ans, a été élève de Denis Pascal au CNSM de Paris. Lauréat de plusieurs concours, il a remporté en 2018 le Grand Prix de l’Académie Maurice Ravel de la ville de Saint-Jean-de-Luz. 

La Fantaisie opus 17 de Schumann ouvrait son récital. Une pièce dont il a su exprimer les élans passionnés, comme les épisodes tendres et intériorisés. Dans le dernier mouvement pris à un tempo assez allant, les gammes descendantes auraient pu être distillées avec davantage de profondeur, sous un éclairage nocturne, alternant avec des passages que l’on a entendus remplis d’une ferveur touchante. Point de facétie chez sa fée des eaux, dans Ondine de Debussy, gratifiée de beaux traits diaphanes et souples, sans éclaboussures excessives. Son programme s’achevait avec le Prélude opus 32 n°12 de Rachmaninov où il s’est montré inspiré, pénétrant le climat mélancolique de cette musique slave. Tout comme dans le Concerto n°3 du même compositeur, qu’il a donné en finale, mais où il s’est laissé emporter par trop de passion exacerbée sur ses dernières pages, dans une masse sonore démesurée. 

 

Sayoko Kobayashi, Deuxième Prix ex-aequo

Sayoko Kobayashi, 25 ans, diplômée de l’Université des beaux-arts et de la musique de Kyoto, est actuellement étudiante à l’École Normale de Musique de Paris. Distinguée par plusieurs prix au Japon et en France, elle est également lauréate de la Fondation Banque Populaire. 

Après un récital remarqué avec au programme La Ronde d’Albert Roussel, une pièce de Toru Takemitsu, Rain Tree Sketch II – In memoriam Olivier Messiaen, la Mephisto Waltz n°1 de Liszt, et le Nocturne n°13 de Gabriel Fauré, c’est le Concerto en la mineur opus opus 54 de Robert Schumann qu’elle a choisi pour la finale. Entendu par quatre candidats différents, son interprétation s’est révélée la plus soignée et la plus inspirée. Avec beaucoup d’investissement expressif, sans surcharge cependant, elle a su mettre au premier plan son jeu d’un très beau fini, devant la partie d’orchestre traduite avec grande sensibilité au piano. L’auditoire a été conquis par sa palette de nuances, notamment dans le second mouvement aux phrases enveloppantes, puis par la clarté et l’équilibre de son troisième mouvement, triomphal. 

 

Tsubasa Tatsuno, Deuxième Prix ex-aequo

Tsubasa Tatsuno, âgé de 29 ans, est diplômé du CNSM de Paris, après y avoir étudié auprès de Florent Boffard et Michel Dalberto. En 2018, il a remporté le 2ème Prix du premier Concours International de Piano « Les étoiles du piano » à Roubaix. 

D’Albert Roussel, Tsubasa Tatsuno a interprété « Des heures passent opus 1 n°2: Joyeuses ». Puis son récital s’est poursuivi avec Rain Tree Sketch II – In memoriam Olivier Messiaen de Toru Takemitsu, les Fantasiestücke opus 12 de Robert Schumann, et l’Isle Joyeuse de Claude Debussy. Un programme qui a su convaincre le jury par la sincérité musicale et expressive de son interprète. En finale, il a donné également le Concerto en la mineur opus opus 54 de Robert Schumann. Bien chantée, chaleureusement timbrée, son interprétation a su toucher le public et le jury par sa présence tant sonore qu’expressive. Porté par le souffle lyrique de l’œuvre, ce pianiste au son plein et rond s’est moins intéressé au détail, à la clarté de lecture. Une option qui, en dépit de quelques imprécisions, s’est avérée fort attachante.

Le concours international de Piano Albert Roussel nous donne rendez-vous l’année prochaine, pour une édition qui, espérons-le, sera délivrée de ses chaînes covidiennes! En attendant, félicitations aux lauréats, auxquels on souhaite de belles carrières, et un grand merci à Aïda Marcossian!

 Jany Campello

photos Manuel Gouthière pour le concours Albert Roussel, vidéo Ghislain Poirot, Production Gpo

Les 9 finalistes, ici un extrait de leur récital :

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