600 Mots de la musique, par Hélène Cao


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igue, cantate, musique spectrale, rubato, baryton, toccata… le vocabulaire de la musique occidentale recèle bien des mystères pour le simple mélomane, et recouvre parfois des réalités multiples, au-delà des définitions basiques, que le musicien n’appréhende pas forcément dans leur complétude. L’ouvrage en deux volumes d’Hélène Cao a le grand mérite d’être accessible et utile à tous, conçu pour s’initier ou parfaire ses connaissances en matière de notions musicales. En ordre alphabétique, ces 600 mots répartis suivant qu’ils appartiennent aux formes et genres musicaux, ou à l’histoire et à la technique, font l’objet de notices à la fois concises et copieusement renseignées, pour ne pas dire érudites, faisant constamment référence aux origines et à l’histoire, et illustrées d’exemples concrets. Un index permet de trouver rapidement le terme recherché, qu’il ait sa notice propre où qu’il soit intégré à l’une d’elles. Le caractère synthétique de celles-ci (une à deux pages) permet en quelques minutes de lecture de comprendre le mot, et de cerner ce qu’il englobe. Foisonnant de références musicales soigneusement choisies – autant d’orientations et de clés d’écoute pour le lecteur – elles peuvent traverser plusieurs siècles depuis l’origine du terme jusqu’à son acception ou utilisation contemporaine (comme il y va de « trope » qui nous conduit du plain-chant moyenâgeux à Boulez et Rihm).

A la qualité du contenu s’adjoint celle de la forme littéraire : l’écriture est fluide, vivante, accessible ; l’auteure ne se prive pas d’y glisser quelques images, traits d’humour ou fins mots d’esprit ici et là, comme par exemple lorsqu’il s’agit de définir le mot « bar »! Sans être exhaustif, ce précis en forme d’abécédaire fait à peu près le tour de tout ce qui est essentiel, à commencer par le « bruit » et le « silence ». Il est tout autant un outil, un sésame, qu’un ouvrage à lire au gré de son envie par curiosité, par désir d’en apprendre davantage sur la musique, et pourquoi pas d’élargir son horizon dans le vaste champ du répertoire dit « savant », mais à la portée de tous!

Hélène Cao, 600 mots de la musique, 2 tomes (158 et 164 pages), collection Les essentiels de la musique, éditions Gérard Billaudot, Paris 2021.

Hélène Cao est musicologue, titulaire de cinq premiers prix du CNSM de Paris, et d’une thèse de musicologie à l’École Pratique des Hautes Études. Elle enseigne la culture musicale au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris et au conservatoire du XIIIème arrondissement. 

 


 

Olivier Latry, À l’orgue de Notre-Dame

Entretiens avec Stéphane Friédérich

Deux ans jour pour jour après l’incendie de la cathédrale, paraît cet ouvrage, fruit des entretiens d’Olivier Latry, organiste co-titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris, avec Stéphane Friédérich, journaliste rédacteur passionné d’orgue. Bâti en cinq chapitres titrés suivant l’ordinaire de la messe, il est une célébration, un magnifique témoignage de l’engagement spirituel et artistique d’un musicien profondément ancré dans sa foi et de sa relation fusionnelle avec l’illustre rescapé du désastre. Porteur d’un puissant message d’espérance, ce « passeur de souffle » – c’est ainsi qu’il aime se définir – nous invite à mieux connaître et à aimer cet instrument et sa capacité expressive, à la lumière de son histoire.

Le choc. La stupeur. Olivier Latry commence par nous raconter comment, tout juste arrivé à Vienne, Il apprend la terrible nouvelle : l’incendie de Notre-Dame. Puis comment au terme d’une pénible attente, le miracle advient : l’orgue est sain et sauf ! Car pour l’organiste, l’orgue est un personnage, un être vivant, un compagnon dont il attend patiemment le retour, « dans le souvenir des moments intenses passés ensemble ». 

C’est en 1984, âgé seulement de 23 ans, qu’Olivier Latry remporte le concours pour devenir organiste de Notre-Dame de Paris, succédant à Pierre Cochereau. Le musicien retrace son parcours qui le conduit à cette fonction suprême : l’histoire d’une passion qui commence à Boulogne-sur Mer, sa ville natale, alors qu’il colle des languettes de papier au couvercle de son piano en guise de jeux, le transformant en orgue imaginaire ! L’orgue, il l’entend tous les dimanches à la messe. L’imposant instrument d’église lui ouvre son univers de couleurs, grâce au bienveillant abbé Brebion qui lui en permet l’accès. On le suit dans ses rencontres d’orgue en orgue, ses découvertes de leurs mondes sonores toujours plus vastes, qui forment définitivement son goût pour la registration. On le suit aussi dans ses rencontres humaines : celles primordiales du maître Gaston Litaize au conservatoire de Saint-Maur et d’Olivier Messiaen à Notre-Dame, auxquels il voue une fidélité, une admiration et une reconnaissance infaillibles, et bien sûr celles des hommes d’église, et tout particulièrement de Mr Lustiger, dont la connaissance et la sensibilité musicales l’ont impressionné tout autant que ses sermons. 

Les questions de Stéphane Friédérich convoquent des souvenirs, dont Olivier Latry nous livre avec émotion les moments forts, ceux nombreux vécus pendant le temps liturgique à la tribune de Notre-Dame, ceux plus exceptionnels et bouleversants des ordinations sacerdotales. « J’ai vécu si haut avec l’orgue de Notre-Dame ! » s’exclame-t-il. Serviteur invisible, l’envie de se surpasser, de pénétrer le mystère par les sons, de « faire chanter les pierres » de la cathédrale, il dit la tenir de ces personnalités ecclésiastiques marquantes qui « possèdent le sens de la cathédrale », mais aussi du lieu lui-même, porté par son énergie, et bien sûr des ressources de l’orgue, dont il évoque l’histoire, le vécu, les modifications depuis le XVème siècle, ses restaurations, en particulier celle achevée en 1992 qui marque un avant et un après. Ce livre est une mine pour qui s’intéresse aux liens vivants et étroits entre la facture, le répertoire, l’évolution des esthétiques au fil des siècles qui ont façonné l’identité de l’orgue de Notre-Dame et sa beauté. 

Il y est aussi question de son métier d’organiste dans toutes ses composantes, qu’Olivier Latry désigne comme une vocation, une « mission entre deux mondes, le réel et le spirituel », que ce soit à l’église ou dans les salles de concert : la relation singulière de l’interprète avec les compositeurs du passé et du présent, l’improvisation si stimulante, vivier d’idées musicales propres à devenir matériaux compositionnels, l’enseignement, indispensable courroie de transmission, la spécificité de l’enregistrement de l’orgue et de son répertoire écrit ou improvisé, sacré ou profane, y sont autant de sujets abordés avec une connaissance profonde issue de la passion, de l’expérience et d’une pensée musicale nourrie d’un absolu : celui de l’élévation spirituelle. 

Stéphane Friédérich

Ces échanges magistralement orchestrés par Stéphane Friédérich, nous livrent un double portrait : celui d’un musicien d’exception, et celui d’un instrument unique dans son écrin sacré, aux destinées indissociables. Un ouvrage en or, essentiel et enrichissant dans ces temps de résurrection en gestation, avant que de réentendre, vibrant sous les voûtes rebâties de la cathédrale, par son « passeur du Souffle », le son éternel de l’orgue de Notre-Dame.

Jany Campello

Olivier Latry, À l’orgue de Notre-Dame, entretiens avec Stéphane Friédérich, 185 pages, éditions Salvator, Paris 2021.

 


 

Le Groupe des Six, une histoire des années folles, par Pierre Brévignon

Le hasard, ou son apparence. C’est par lui, et par effraction, que le Groupe des Six entra dans la vie de Pierre Brévignon, alors qu’il fêtait ses quinze ans, jour marqué d’une Parade qui n’était pas celle attendue…Si la « rythmique funky » de Prince & the Revolution n’avait pas « bercé » son adolescence, si ses parents et leur disquaire ne s’étaient pas trouvés à ce moment-là dans une convergence d’inspiration indépendante de leur volonté, nous n’aurions probablement pas aujourd’hui cet ouvrage réjouissant entre les mains. Une privation à laquelle fort heureusement nous avons échappé.

Le hasard: c’est aussi, en apparence, l’un des ingrédients fondamentaux de la genèse du Groupe des Six, dont Pierre Brévignon retrace l’histoire de A à Z avec une méticulosité chronologique, une concision et une précision exhaustive. Aucun de ses acteurs n’y est oublié, à commencer par celui dont la plume jouera le rôle de catalyseur, dans sa promotion comme dans sa dislocation, le chroniqueur et musicologue Henri Collet. Mais avant quiconque, celui que Diaghilev pria d’aller jouer ailleurs avec son célèbre « Étonne-moi, Jean! », son instigateur, son orchestrateur, son impresario, cet « infatigable promoteur de lui-même, qui s’est hissé sur les épaules de “ses” musiciens pour se faire une place dans un univers qui le fascinait », Jean Cocteau, qui le prit au mot. 

Six, plus ou moins…

Le Groupe des Six, une histoire des années folles. C’est cette aventure éphémère que nous conte l’écrivain, cette entreprise tout autant parisienne que bleu-blanc-rouge qui, au sortir de la Première Guerre mondiale, se donne l’ambition d’instaurer en art un esprit nouveau, tournant le dos au dodécaphonisme et à la modernité debussyste. Six? Sept avec Cocteau: Georges Auric, Francis Poulenc, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, et Germaine Tailleferre. Mais cette comptabilité s’avèrera à géométrie variable: avec le départ de Louis Durey qui refuse, en 1921, de prendre part à l’unique production scénique du groupe, Les Mariés de la tour Eiffel, ils ne sont plus que cinq. Vraiment? Avec Jean Wiener et la pianiste Marcelle Meyer, au centre du tableau de Jacques-Émile Blanche intitulé le Groupe des Six, ne seraient-ils pas sept? Pour certains ils se résumeront à quatre, ou trois, voire un…

La plume alerte de Pierre Brévignon, nous introduit dans les salons parisiens, où nous assistons à la rencontre Satie-Cocteau, dans l’atelier de la rue Huyghens puis au Gaya, où se presse le Tout-Paris artistique branché, dans le théâtre du Châtelet où Parade fait scandale, dans la Comédie des Champs-Élysées lors de la première tonitruante du Bœuf sur le toit, puis lors de la représentation des Mariés de la tour Eiffel…Au fil des pages nous croisons aussi Picasso, Apollinaire, Gide, Misia Sert, Radiguet, et même Ravel. Pierre Brévignon nous offre, dans un style qui ne manque ni de sel ni de peps, un récit vivant, un bain dans l’effervescente vie artistique de l’entre-deux-guerres, une photographie cinématographique d’un mouvement d’une époque qui, sans atteindre ses ambitions révolutionnaires, n’en a pas moins jeté son pavé dans la mare musicale du XXème siècle. Impossible ici d’échapper au charme des années folles, et de ses personnages hauts en couleurs!

Un livre brillant, à lire d’un trait, l’un des meilleurs parus cette année. Pour une immersion complète dans les années 20, retrouver Parade, Poulenc, Auric…etc, à l’exposition « Les Musiques de Picasso » à la Philharmonie de Paris jusqu’au 3 janvier 2021 (lire notre chronique). 

Pierre Brévignon, Le Groupe des Six, une histoire des années folles, éditions Actes Sud, Arles 2020.

 


 

Le Retour de Majorque, par Jean-Yves Clément: un roman des Préludes…

« Chopin parle ma langue. C’est ainsi depuis toujours ». Pour qui ne connaîtrait pas son auteur Jean-Yves Clément, cette assertion qui introduit son nouvel ouvrage, Le Retour de Majorque, pourrait paraître hardie. Les chapitres qui suivent, tout comme le sous-titre du livre, éclairent le lecteur: après Les deux âmes de Frédéric Chopin (réédité en 2017), le poète auteur d’aphorismes, l’écrivain, éditeur et directeur artistique du Nohant Festival Chopin, signe ce « journal de Frédéric Chopin » inventé de toutes pièces. L’écrivain prend la plume du compositeur, lui prête ses mots, pénètre jusqu’à son âme, ses deux âmes, pour retracer un épisode-charnière de sa vie, lui parfaitement réel, cette transition que fut son voyage de Majorque à Nohant, avec George Sand, entre février et juin 1839. Mais le voyage n’est que la trame de fond, le cœur du propos réside en une œuvre: les 24 Préludes opus 28. Composés pour partie et achevés sur l’île, ils forment un univers pluriel et un à la fois, que l’auteur nous présente tel un roman. Comme autrefois probablement George Sand, puis Alfred Cortot, il avait auparavant tenté des titres. Dans ce récit au jour le jour, autant qu’il y a de préludes, il va plus loin, plus au cœur de cette « œuvre-vie », proposant par l’amour de ses mots une écoute. Un ouvrage remarquable, qui fait entendre la musique, et le souffle de vie qui l’a créée. « Ecrire sur la musique, c’est pouvoir la faire entendre, même sans elle ». Une mission réussie pour Jean-Yves Clément!

Jean-Yves Clément, Le retour de Majorque, journal de Frédéric Chopin, éditions Pierre Guillaume de Roux, septembre 2020.