La prestigieuse phalange new-yorkaise n’avait pas traversé l’Atlantique depuis 22 ans ! Avec son chef québécois Yannick Nézet-Séguin, elle a fait halte à Paris pour deux concerts à la Philharmonie avant de poursuivre sa tournée en Europe. Évènement ô combien attendu du public qui lui a réservé un accueil plus qu’enthousiaste.
L’excitation grandit dans l’auditoire ce dernier mardi de juin à mesure que les musiciens prennent place sur scène : quelques minutes d’un cérémonial qui annonce un moment d’exception. L’effectif en impose et impressionne déjà. Les premières mesures des Danses symphoniques de West Side Story nous plongent d’emblée dans l’opulence et la rutilance sonore du grand vaisseau symphonique qu’est l’Orchestre du Metropolitan Opera. Dans une profusion de couleurs, la musique de Leonard Bernstein déborde ici de vitalité, d’énergie. Dans l’acoustique généreuse de la salle Pierre Boulez, la direction de Yannick Nézet-Séguin conjugue fougue et précision (des rythmes et des attaques), vivacité et netteté de trait, sans laisser de côté l’expressivité qui fait de Somewhere le moment le plus chavirant de cette partie de concert, porté par ses cors somptueux. L’esprit de fête est de mise dans Mambo bariolé et tonitruant, qui ne manque pas de faire son effet. Mais c’est surtout côté cordes que l’orchestre se distingue : très homogènes, leurs pupitres cultivent l’onctuosité du legato, habillent les chants d’un lyrisme irrésistible.
Lyrisme intense et de toute beauté aussi, entrelaçant les chants après le choral recueilli de Frère Laurent, déployé dans l’Ouverture-fantaisie de Roméo et Juliette de Piotr Ilitch Tchaïkovski qui succède à sa version latino-new-yorkaise après une courte pièce du compositeur Matthew Aucoin (né en 1990) intitulée Heath-King Lear Sketches donnée en création française. En quatre parties enchaînées, l’œuvre à dominante tonale séduit par l’accessibilité de son langage et la richesse de son orchestration. Le son large, les mélodies amples, les longs climax, les envolées vers l’extrême aigu (au piano et au piccolo) donnent à sa première section (« Le Royaume divisé ») un contour cinématographique, avec cette impression d’être devant un écran géant, tandis que le climat s’épaissit, s’alourdit dans « Je n’ai plus de chemin devant moi » puis dans la marche funèbre finale.
Après cette démonstration symphonique captivante, en seconde partie, le Met Orchestra revient au répertoire lyrique avec l’acte IV d’Otello de Giuseppe Verdi en version concert, cette fois non pas dans la pénombre de la fosse, mais sous les lumières de la scène. Passées quelques secondes alors que l’on entre tout de go dans ce dernier acte d’opéra, c’est la délectation. L’orchestre est un partenaire de rêve pour les sept chanteurs présents, tous irréprochables, tous remarquables. Son accompagnement attentif aux moindres inflexions des chanteurs, sa présence somptueuse qui met en valeur les voix et déroule en parfaite symbiose avec elles le fil dramaturgique, participent de la magnificence de cette soirée illuminée par des interprétations d’une qualité exceptionnelle. Russel Thomas incarne avec justesse de ton un Otello en furie, puis abattu ; son monologue final est poignant de sensibilité et de sobriété expressives. Mais c’est la soprano américaine Angel Blue qui, en Desdemona, suscite la plus grande admiration avec d’abord sa magnifique Chanson du saule introduite avec délicatesse par le chant du cor anglais, puis avec son émouvant Ave Maria, au vibrato finement dosé. Son chant d’une grande pureté de ligne, la souplesse de ses phrasés, le large ambitus de sa voix allant de beaux graves aux aigus faciles, sa projection naturellement ample servent idéalement son personnage dont elle sait exprimer avec vérité, sans le sur-jouer, la désespérance et la beauté intérieure.
En bis, une méditation avec Adoration de Florence Price, qui laisse entendre, avec l’orchestre tout entier, le violon solo de David Chan. Un joli point final à une rare et belle soirée.
Jany Campello
crédits photographiques: Met-Orchestra-©-Abdourahmane_Sebiane_Philharmonie-de-Paris, et ©DR (Angel Blue)