Chroniques

LES NOUVEAUX MONDES DE LISZT ET DE DVORÁK AUX LISZTOMANIAS

20 ans ! C’est l’âge des Lisztomanias, festival créé à Châteauroux à l’initiative de Jean-Yves Clément, suivant le vœu que Liszt avait formé dans une lettre à George Sand en 1844. Bel anniversaire célébré depuis le 14 octobre, l’édition s’intitule Liszt a 20 ans !, sauf qu’à cet âge, le pianiste et improvisateur virtuose n’avait encore rien composé ! Le directeur artistique a voulu, avec cette image du jeune Liszt, créateur en germination, dédier cette édition à la nouvelle génération d’interprètes. Un hommage à l’éternelle jeunesse du compositeur…

Ainsi, Alexandre Kantorow, glorieux et déjà immense pianiste de 24 ans, et Aziz Shokhakimov, jeune chef d’orchestre originaire d’Ouzbékistan doublement récompensé au Concours Gustave Mahler et au Concours du Festival de Salsbourg, étaient réunis ce dimanche 17 octobre dans la grande salle de la Scène Nationale Équinoxe du chef-lieu de l’Indre, au cœur du Berry romantique (à deux pas de Nohant) pour un des premiers concerts de sa saison, en partenariat avec les Lisztomanias. L’Orchestre National des Pays de la Loire entre si bonnes mains a donné le meilleur de lui-même dans un programme associant Liszt et Dvorák. 

Musicien ouvert sur le monde, infatigable voyageur, libre et généreux créateur, Liszt n’a pas hésité, dès ses premières compositions, à bousculer les idées musicales convenues, bien trop à l’étroit dans celles-ci, ce qui lui valut un temps quelque disgrâce auprès du public de l’époque. Son monde à lui est vaste, protéiforme, inclusif si l’on songe notamment au nombre de ses transcriptions,…et nouveau ! Le découpage en mouvements ne lui correspond pas, il compose des tableaux et des fresques. Et quelle fresque que la Fantasia quasi sonata « Après une lecture de Dante » sous les doigts d’Alexandre Kantorow ! Il faut certainement plus d’imagination et de ressources qu’on ne pense pour jouer cette pièce redoutable techniquement mais pas seulement. Il faut savoir y cheminer depuis ses infernales profondeurs, allumer ses brasiers, s’abîmer dans ses précipices, et en sortir pour accéder à l’apaisement, et atteindre son paradis. Alexandre Kantorow s’y donne corps et âme, allant au bout de l’engagement physique comme de sa vision poétique, incroyablement inspirée. Dans le dépassement constant de ce qui est imaginable musicalement, les contrastes poussés dans des terrae incognitae, il n’en oublie pas pour autant l’articulation du récit, porté par un souffle puissant. Aux effroyables tourbillons, aux gouffres vertigineux qu’il ouvre sous nos pieds, succède par exemple la lumière ineffable de ce passage céleste, celui indiqué ppp dolcissimo con amore, si finement égrainé dans l’aigu, dans un tempo si retenu qu’il nous tient en apesanteur ! Un moment de félicité hors du temps et du monde ! 

Il a trouvé un partenaire idéal et à sa mesure avec Aziz Shokhakimov, pour interpréter le Concerto n°2 en la majeur de Liszt, qu’il avait enregistré en 2015 avec un autre partenaire idéal, son père Jean-Jacques Kantorow. Animé d’une énergie phénoménale, son jeu mêlant rêverie, panache, héroïsme, et éloquence, fait excellent ménage avec l’orchestre qui répond enthousiaste à la direction fougueuse, soignée et expressive du jeune chef. Les solos d’instruments qui ponctuent le déroulement du concerto, en particulier le violoncelle et le hautbois, sont magnifiquement mis en valeur, la palme revenant au pupitre de cuivres qui termine l’ouvrage en majesté. Un superbe écrin de couleurs pour le pianiste qui accorde les siennes ourdissant un discours voyant loin, si naturellement expressif. Le Sonnet de Pétrarque n°104 qu’il donne en bis est un modèle en l’espèce : quelle longue et élégante ligne de chant, quelle sonorité, quelle magnifique continuité vocale que rien de superflu ne vient encombrer ! 

Après le monde nouveau de Liszt, le Nouveau Monde de Dvorák ! De son séjour new-yorkais de 1892 à 1895, le compositeur tchèque a rapporté cette œuvre devenue si fameuse qu’elle inspira le cinéma et nombre d’artistes, la Symphonie du Nouveau Monde. Débordante de vie, exaltée, colorée, elle n’a pu être mieux servie :  le jeune chef Aziz Shokhakimov, qui a fait ses armes très tôt et au plus haut niveau dans son pays, depuis peu à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, en donne une interprétation tout-à-fait remarquable, suivi par un ONPL qui se surpasse, c’est dire ! il avait déjà dirigé la phalange ligérienne. Sa confiance désormais acquise, il parvient à valoriser tous ses pupitres, les entretenant constamment dans l’intensité du chant, allant chercher leurs couleurs, relevant les nuances, modelant ses reliefs, attentif au flux dynamique comme aux détails. Unanime, le public transporté et admiratif rappelle les musiciens par des applaudissements nourris. L’Adagietto de l’Arlésienne de Bizet, fondant de ses pianissimi murmurés par toutes les cordes de l’orchestre, vient conclure en douceur ce concert extraordinaire. 

Jany Campello

crédit photos © Benjamin Steimes / Châteauroux Métropole

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