Où entendre un récital de mélodies à Paris? Salle Gaveau pardi! C’est dans ce prestigieux lieu parisien que l’Instant lyrique, initié en 2014 par Richard Plaza, vient de s’installer. En ouverture de saison, celui de Barbara Hannigan a réuni, lundi 27 septembre, quatre jeunes musiciens autour de la soprano, dont trois artistes lyriques, participant tous de son projet Equilibrium Young Artists et soutenus par la Fondation Momentum. Une soirée sortant des sentiers battus où la mélodie française largement représentée a côtoyé airs originaux et chants « exotiques » traditionnels.
Personnalité généreuse et attentive, Barbara Hannigan, telle une fée, se penche à sa manière sur le berceau de jeunes artistes talentueux, pour les aider à lancer leur carrière. La crise provoquée par la pandémie a été le déclencheur du mouvement Momentum, qui a fédéré en 2020 des artistes internationaux de premier plan désireux de s’engager à soutenir et promouvoir de jeunes solistes professionnels, apportant « une réponse urgente, artistique et humaine » destinée à perdurer dans le temps. De nombreux organismes de diffusion ont depuis largement répondu à l’appel, offrant autant d’opportunités de se produire à la jeune et brillante génération de musiciens. L’Instant Lyrique y participe depuis sa saison dernière, et reconduit l’expérience cette année, sa vocation étant entre autres d’ « offrir une scène à des artistes émergents ».
Mélodies entre belles compagnies autour de Barbara Hannigan
Sur scène de beaux éclairages et un piano dont le pupitre est jonché de plusieurs couches de partitions. Elles attendent Michalis Boliakis, pianiste d’origine grecque, chef de chant et accompagnateur hors pair, titulaire d’un poste d’assistant au CNSM de Paris. Au fil de la soirée, on n’aura de cesse de constater l’excellence dont il fera preuve dans son rôle, notamment dans certaines pages périlleuses de Francis Poulenc dont il s’emparera avec une facilité déconcertante, mais aussi dans quelques pièces solistes comme ces deux extraits de For a Little White Seashell, Syrtos et Megali sousta de son compatriote Manos Hadjidákis (1925-1994). Heureux chanteurs qui trouvent de tels partenaires !
Barbara Hannigan inaugure le récital avec Hymnen an die Nacht de Claude Vivier (1948-1983), qu’elle chante et vit tout à la fois avec une grande intensité expressive, puis s’efface devant la mezzo-soprano Ema Nikolovska qui prête sa voix capiteuse et lyrique au cycle Tel jour, telle nuit de Francis Poulenc dont on ne distingue hélas pas suffisamment les paroles des poèmes de Paul Éluard, la clarté de la diction de la chanteuse qui a grandi à Toronto demeurant perfectible. D’origine macédonienne, elle chantera un peu plus tard a capella une fort belle et touchante mélodie traditionnelle de son pays, suivie des Songs from the Exotic de la compositrice Judith Weir (née en 1954 ), dans un anglais manifestement plus confortable pour elle.
Reynaldo Hahn convient à merveille à la soprano Jeanne Gérard, qui interprète trois de ses mélodies (L’énamourée, Néère et Le printemps) avec grande finesse et dans une vibrante émotion, usant d’une superbe palette expressive faite de nuances recherchées. Elle apporte aussi sa note grecque au programme avec les simples et touchantes Cinq mélodies populaires grecques de Maurice Ravel, parées du charme délicat de sa voix. Barbara Hannigan vient à son tour à Poulenc dont elle a choisi les douces-amères Fiançailles pour rire. Quelle volupté et parfois aussi quel savoureux abandon mélancolique dans sa façon de chanter les mots de Louise de Vilmorin, sur des pianissimi superbement timbrés ! On aura aussi le plaisir de la retrouver dans son répertoire de prédilection alors qu’elle interprètera Der Sommer de Gyorgy Ligeti.
Yannis François, baryton-basse d’origine guadeloupéenne, a plus d’une corde à son arc. Danseur dans la troupe de Maurice Béjart, le chant sous toutes ses coutures est sa deuxième nature. Il le démontre avec, pour commencer, Trois ariettes italiennes du Chevalier de Saint-George, racines communes obligent ! Mais c’est surtout dans Im Spätboot de Richard Strauss que le timbre grave, profond et homogène de sa voix se révèle, sur une belle longueur de souffle. Éclectique, et talentueux dans tous les genres, on apprécie son humour dans The Owl and the Pussy-Cat d’Igor Stravinsky et dans les rires de The Tale de Meredith Monk, la couleur qu’il donne au chant traditionnel russe Akh tinotchanka, et enfin le Canto Negro du compositeur catalan Xavier Montsaltvatge, écrit sur un poème cubain qu’il chante avec ferveur.
Il fallait de l’audace pour proposer un tel programme, dont l’originalité et la rareté appellent nécessairement un public curieux et ouvert. Chapeau bas aux artistes et à l’organisateur, qui ont su le composer, le défendre et récolter l’enthousiasme d’une salle toute entière emballée par leurs talents. Une soirée comme on en souhaiterait plus souvent !
Jany Campello
crédit photos©Cédric Le Dantec