Ce n’est pas sans un petit battement de cœur que j’ai franchi le seuil du porche de l’Hôtel de Sully, à Paris, ce samedi 11 juillet au soir. Depuis mi-mars, je n’étais pas retournée au concert, et pour cause! Il était temps… Les concerts reprennent, ici et là, à Paris, dans certains festivals, doucement, dans une sorte de convalescence qui impose mille précautions. La musique se déconfine, les concerts se ré-organisent, en plein air, car dans les salles c’est encore compliqué, et puis, quitte à se déconfiner, autant que cela soit à l’air libre! Pour l’occasion, rien de mieux qu’un rendez-vous avec Mozart, revenu dans le Marais pas loin de 250 ans après son séjour parisien de 1778, qui fut propice à l’éclosion de bien de ses chef-d’œuvres. L’Orchestre de Chambre de Paris était là pour le servir, sous la baguette de son nouveau directeur musical, le pianiste et chef Lars Vogt.
L’inestimable légèreté de Mozart
L’Hôtel de Sully, qui abrite le Centre des Monuments Nationaux, coproducteur des concerts avec L’Orchestre de Chambre de Paris, avait vu sa cour aménagée suivant un placement libre et espacé, mention précisée sur le programme. Chaises et transats disposées pour accueillir 250 personnes, jauge maximum autorisée, et dûment remplie. Belle scène spacieuse pour l’orchestre et les solistes, temps radieux, une légère brise, tout était parfait! Les 251 personnes installées – un spectateur de plus, en short et bob, tombé du ciel probablement, perché sur le toit de l’Hôtel – les musiciens de l’orchestre arrivent, suivis de Lars Vogt. L’émotion et la joie sont palpables, chez eux comme dans l’auditoire. Quoi de mieux que l’ouverture des Noces de Figaro pour nous sortir en beauté et en légèreté des oppressantes semaines vécues, pour débarrasser d’un coup de baguette notre esprit des toxines accumulées durant cette triste condition? Quelques passages d’oiseaux en nuées ajoutent à ce nouveau sentiment de bonheur celui d’une liberté retrouvée, et la magie de Mozart opère, nous comblant de bien-être. Après cette heureuse mise en bouche, la flûtiste Magali Mosnier (révélation des Victoires de la Musique Classique) et la harpiste Valeria Kafelnikov (soliste de l’Ensemble Intercontemporain et harpe solo de l’ensemble Les Siècles) rejoignent le plateau. Nous écoutons dans un silence religieux le célèbre Concerto pour flûte et harpe en ut majeur K299, composé cette année 1778 justement à Paris. La direction fine de Lars Vogt laisse un bel espace au solistes dans un écrin orchestral riche aux subtiles courbes et couleurs. La flûtiste et la harpiste entretiennent une conversation musicale des plus harmonieuses et des plus captivantes: quelle vitalité et quelle tendresse dans leurs échanges! Ça chante souplement, simplement, c’est frais, c’est beau! L’andantino un rien nostalgique est une délectation. Dans le rondo final, Magali Mosnier semble parfois chanter quelque air d’opéra avec sa flûte. Ce qu’elle fera dans le bis, se substituant à Pamina dans son air Ach, ich Fühl’s, de la Flûte Enchantée, accompagnée par la harpe.
Le vent s’est levé et secoue un peu les pupitres et les partitions, alors que l’orchestre revient pour interpréter Les Petits Riens, musique de ballet-pantomime, commande d’un maître de ballet français. Une musique enthousiasmante et simple qui introduit à merveille le Concerto pour piano n°9 K271, dit « Jeunehomme », nom de sa dédicataire, une jeune virtuose française. Lars Vogt en donne une interprétation en joué dirigé, le piano au milieu de l’orchestre, dans une recherche d’équilibre et d’expression constante. Lars Vogt sait que tout ce qui brille n’est pas d’or. C’est non point l’esprit de superficialité – ce concerto marque le renoncement de Mozart au style galant – mais la sincérité du propos, le phrasé juste, assortis de cette douce lumière et cette tendresse qui nimbent toutes les notes ou presque de Mozart, que nous entendons là. L’andantino, aux magnifiques pianissimi, très audibles en dépit du cadre extérieur et des cris des hirondelles, est une touchante confidence. La joie inonde le troisième mouvement, qui emporte l’acclamation du public. Lars Vogt et l’orchestre nous offrent en bis un cadeau de roi: l’andante du Concerto n°21 en do majeur K467: un moment magique de partage émotionnel dans cette cour de l’Hôtel de Sully, traversée par un vent froid que nous ne sentons plus…
À force de privation, peut-être aurions-nous fini par regretter les toux des concerts. Ce soir-là, silence absolu, rien, pas la moindre…On en vient à rêver pour l’avenir, quand on retournera en salle. L’été est loin d’être fini: l’Orchestre de Chambre de Paris nous donne un prochain rendez-vous extérieur, les 4 et 5 septembre, à la Manufacture des Gobelins. Ces concerts du cycle « La musique nous rassemble » seront dirigés une toute dernière fois par Douglas Boyd, un au-revoir à ne pas manquer.
Jany Campello
A noter: concert capté par Arte et Arte Concert.
(Crédits photos JB Pellerin & JB Millot )