Chroniques

NUIT VERDIENNE AUX CHORÉGIES D’ORANGE

Elle devait être italienne, avec la Scala de Milan prévue à l’origine dans la programmation de cette édition des Chorégies d’Orange. La crise sanitaire et ses contraintes auront eu raison de la venue de ses artistes, annulée et reportée à l’année 2022. In extremis, elle a été remplacée par une Nuit verdienne, permettant au public de retrouver au pied de la statue d’Auguste trois de ses chanteurs lyriques préférés, en compagnie de l’Orchestre National de Lyon…

Point de chœurs, ni de divas, ni même de décors pour cette soirée du 24 juillet, qui se devait d’être le second grand temps fort lyrique du festival, après Samson et Dalila : Jean-Louis Grinda s’est mis en quatre au printemps dernier pour concocter une représentation digne des grands soirs, à même de combler un public privé de l’opéra attendu. Objectif atteint pour le plus grand bonheur des oreilles présentes. Trois voix venues tutoyer les étoiles, trois stars pour non pas un mais plusieurs opéras de Verdi, incarnant dans leurs tessitures respectives leurs figures masculines, ont rempli de leur charismatique présence l’immense plateau scénique, portant leur chant épanoui et généreux jusqu’au dernier gradin de la cavea. Roberto Alagna, Ludovic Tézier et Ildar Abdrazakov ont partagé leur complicité vocale et confraternelle avec une joie palpable, et dans une forme qui ne nous a jamais paru aussi éclatante. L’autre acteur de ce tour d’horizon verdien, et pas des moindres, l’Orchestre National de Lyon s’est trouvé au meilleur de lui-même sous l’impulsion inspirée du chef russe Konstantin Tchoudovski, découverte et révélation de la soirée. 

Hormis l’illustre air de Rigoletto « Cortigliani, vil razza damnata », et quelques extraits de Don Carlo, ce ne sont pas les grands airs rebattus de la Traviatta, d’Aïda, ou d’Otello qui ont fait la richesse du programme, mais des airs moins connus issus d’ouvrages moins fréquentés (comme Luisa Miller, dont l’air de Rodolfo « Quando le sere al placido » a été chanté admirablement par Roberto Alagna), qui se sont succédés dans un enchaînement dramatique cohérent, entrecoupés d’ouvertures et préludes orchestraux (La Forza del destino, I Lombardi alla prima crociata, Les Vêpres Sicilennes, et Macbeth). C’est ainsi toute l’étendue de l’œuvre de Verdi que nous avons parcourue depuis son premier opéra Oberto, créé en 1839, jusqu’à Don Carlo créé en 1867 et remanié pour la scène italienne en 1884.  

Trois étoiles illuminent la nuit verdienne

Ildar Abdrazakov

Le jour entamant son déclin, l’orchestre nous transporte en introduction dans la musique obsessionnelle et poignante de l’ouverture de La Forza del destino. Konstantin Tchoudovski attentif à chaque pupitre tout autant qu’il le sera ensuite aux chanteurs, dirige avec une sûreté gestuelle, une énergie, une intention expressive fine et très intelligible pour les musiciens, qui la restituent avec intensité. Dans l’acoustique parfaite du Théâtre Antique, l’orchestre sonne magnifiquement et d’une belle épaisseur, porté par un souffle qui sublime ses couleurs. Roberto Alagna fait une remarquable entrée sur l’air d’Alvaro, « La vita è inferno all’infelice… », la voix souple, le timbre toujours aussi limpide et lumineux, profond dans les graves, nous emportant dans son émouvante nostalgie. Rejoint par Ludovic Tézier pour un deuxième extrait de la Forza del destino, « Solenne in quest’ora » , ils forment un duo dont les personnalités et les voix se complètent idéalement. Nous les retrouverons pour le tout dernier air, dans celui extrait de Don Carlo, célébrant l’amitié indéfectible de Don Carlo et de Rodrigo, « E lui!…desso!…l’Infante! O mio Rodrigo! » : un hymne à la liberté et à la fraternité qui viendra ponctuer avec force de sens une soirée touchant le cœur d’un public si longtemps privé de la communion du concert. Ludovic Tézier se montre auparavant d’une sensibilité et d’une sincérité émouvante dans le grand air de Rigoletto « Cortigliani, vil razza damnata », à son aise dans toute l’étendue vocale requise, jusqu’au bouleversant dernier « Pietá! » d’une longueur infinie s’enfonçant dans la nuit…Nous retrouvons la projection claire de son timbre contrastant avec celui de la basse russe Ildar Abdrazakov dans un autre air de Don Carlo, « Restate ! Presso alla mia persona… » mettant en scène le roi Filippo II et Rodrigo. Ildar Abdrazakov fait aussi partie des découvertes enthousiasmantes de la soirée. Le chanteur qui s’est révélé récemment à l’Opéra de Monte-Carlo dans le rôle de Boris Godounov, fait en effet ses débuts aux Chorégies d’Orange. Il incarne ce soir-là Filippo II, mais aussi Oberto, Attila, et le moine de Don Carlo. Le timbre très stable, le son imposant et l’agilité de sa voix confèrent à son chant une expressivité jamais alourdie. Il triomphe dans « Ella giammai m’amò » extrait de Don Carlo, dans lequel sensibilité et perfection vocale ne font qu’un. 

Le tableau final de la soirée rassemble enfin les trois chanteurs dans une scène réduite de Don Carlo, combinant leurs voix entre ombre et lumière dans un ensemble harmonieux et équilibré, porté par un jeu scénique éloquent. Un instant rare !

Toutes ces histoires dramatiques et bouleversantes racontées par ces opéras ne font pas oublier à leurs interprètes que la musique est une fête, et que tout doit se finir dans la joie. Un moment de légèreté vient clôturer de façon « impromptue » cette nuit verdienne, dans la douceur de la brise nocturne, sous les étoiles complices et bienveillantes. Verdi, c’est fini ! Place à Jacques Brel et sa « Quête » de L’Homme de la Mancha, sous les couleurs lyriques offertes par Ludovic Tézier. Place à l’âme slave des célèbres « Yeux noirs » interprétés avec ferveur et chaleur par Ildar Abdrazakov. Et enfin place à l’incandescent « Funiculi Funicula » tout droit issu de Naples par Roberto Alagna et sa voix solaire qui fait briller tous les astres de la nuit comme en plein jour ! Vraiment quelle belle nuit d’été …

Jany Campello

crédit photos © Gromelle

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