Chroniques

PLAMENA MANGOVA AUX NUITS DU PIANO

La pianiste bulgare Plamena Mangova a ouvert la dixième édition du Festival Les Nuits du piano, ce vendredi 30 juillet à Bastia. Un évènement qui a attiré un public nombreux, conquis par la personnalité attachante d’une musicienne dans l’âme. 

 

Patrice Moracchini©Jean-Baptiste Millot

Après une année d’interruption, Les Nuits du Piano ont renoué avec le beau ciel étoilé de la Corse, présentant cinq pianistes choisis par leur directeur Patrice Moracchini. Pour cet homme natif de l’île et fin musicien, inviter un artiste c’est en premier lieu satisfaire un coup de cœur, élire une personnalité musicale en dehors de tout engouement du moment. Aucun calcul dans son esprit, qui n’aurait rien à voir avec la musique : sa programmation répond à une conviction profonde, qui le pousse à aller chercher aussi des musiciens étrangers, quelles que soient les contraintes. Celles-ci se sont surajoutées du fait de la situation sanitaire à celle qu’induit l’insularité. Mais Patrice Moracchini, loin de baisser les bras, a tout au contraire choisi d’étendre sa manifestation auparavant localisée essentiellement à Erbalunga, à Bastia et Ajaccio. Une nouveauté pour cette année anniversaire inaugurée avec la pianiste Plamena Mangova, dans la cour du Palais des Gouverneurs de Bastia, édifice historique qui abrite aujourd’hui le Musée de  la ville. 

Plamena Mangova, Deuxième Prix du Concours Reine Élisabeth de Belgique en 2007, est familière du festival, qui l’avait accueillie en 2015. La voici de retour avec un programme qui lui est cher et qui fait sa signature artistique depuis quelques années. Affectée par une chute récente, elle ne jouera cependant pas la Mephisto Valse n°1 de Liszt. Mais nous entendrons deux pièces de sa compatriote Albena Petrovic (née en 1965) qu’elle a enregistrées à la Philharmonie du Luxembourg en 2019, dans un album consacré à cette compositrice (Bridges of love, label Solo Musica). 

L’Étude n°7 en do dièse mineur op.25 de Frédéric Chopin donne le ton de la soirée : pas de démonstration virtuose mais l’expressivité à fleur d’âme, la confidence intime, la noblesse du chant. La pianiste possède cette éloquence naturelle dépourvue d’excès, cette faculté de chanter la musique sans en forcer le trait, mais en projetant le son dans toute sa rondeur, sans le durcir, ni lui donner ce lustre souvent superfétatoire. La Ballade n°1 en sol mineur op.23 de Frédéric Chopin en apporte aussi la démonstration, conciliant à la fois réserve et élans passionnés, dans un fil narratif qui ménage son souffle, jamais asphyxié. Le concert se poursuit dans l’univers romantique avec trois lieder de Franz Schubert dans les transcriptions de Franz Liszt. Le premier lied Der Sturmische Morgen extrait du Winterreise est dans sa brièveté, joué dans l’emportement, d’une virtuosité foudroyante. Die Nebensonnen, autre lied du Winterreise, contraste par la sobriété et le recueillement de son choral, suivi d’une variation où l’ornementation pianistique apporte une forme de théâtralité si le pianiste reste sur l’approche vocale, la plaçant sous l’angle du récitatif. Ici l’interprétation se situe davantage dans le champ de la plasticité sonore et la fluidité des traits. La pianiste termine ce court cycle avec Der Atlas extrait du Schwanengesang, une pièce tumultueuse où son jeu se fait puissant, opposant l’extrême grave massif aux déclamations parcourant le registre aigu. C’est ensuite la flamme du lyrisme verdien que l’on perçoit dans le Sonnet de Pétrarque 104 de Franz Liszt, joué avec élégance et sans outrance expressive, mais dans la largeur du chant idéalement timbré. 

La seconde partie du concert nous donne à découvrir l’œuvre d’Albena Petrovic, Chrystal dream – Mystery dream. Écartelée entre le registre grave et le registre aigu, la pièce oppose une mélopée lumineuse d’abord évanescente et contemplative, puis tonale et plus lyrique, sur un étrange son grave matifié par l’introduction d’un collier dans les cordes. La séquence suivante alterne rêverie dans de doux tintements de cordes et rudes passages rythmiques. Une musique dont les sonorités et les épisodes mélodiques sont d’une séduction immédiate. Le reste du récital met en avant la musique d’inspiration hispanique et sud-américaine, avec le très bref et dépouillé Prélude n°9 du catalan Federico Mompou mettant à nu le cœur de l’interprète, puis l’Évocation extraite d’Ibéria d’Isaac Albéniz, chargée de couleurs, très vocale, où la pianiste fait montre d’un sens accompli de la respiration. Deux pièces d’une tendre poésie suivies de la Danza del Molinero (Danse du Meunier) extraite du Tricorne de Manuel de Falla, aux accents brûlants mais dont le rythme aurait pu gagner en mordant. Les trois Danzas Argentinas op.2 d’Alberto Ginastera emportent un succès sans réserve : la vive Danza del viejo boyero (n°1) au rythme bien marqué, la Danza de la moza donosa (n°2), à la douce nostalgie, au rubato subtil et sans alanguissement excessif, et enfin l’électrisante Danza del gaucho matrero (n°3), jouée dans l’énergie du rebond des mains sur le clavier, d’une souplesse ahurissante. 

Comme pour célébrer la Nuit, retour à Chopin avec un bis qui suspendra notre souffle, le Nocturne posthume n°20 en do dièse mineur, si magnifiquement phrasé, si émouvant. Un instant magique.

Jany Campello

crédit photos Plamena Mangova ©Marco Borggreve, et ©Nuits du piano

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