Annulé l’an dernier quelques heures seulement avant son concert d’ouverture, le Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo refleurit cette année. Sa 37ème édition, la dernière de Marc Monnet, se déroule depuis le 14 mars, devant un public heureux de retrouver des artistes en chair et en os. Cinq week-ends de bain de musique, pour une résurrection tout aussi joyeuse et lumineuse que celle annoncée par les tintinnabulantes cloches monégasques en ces fêtes pascales!
Ce copieux quatrième week-end de festival rassemblait à lui seul les grands thèmes de la programmation: la seconde École de Vienne, Liszt, le piano français des années 20 et ses compositeurs oubliés, la musique baroque française pour clavecin, pas moins de deux créations contemporaines, et un spectacle musical.
Les Siècles illuminent les musiques de Gérard Pesson, Alban Berg et Johannes Brahms

Samedi 3 avril 2021, un concert roboratif va occuper tout notre après-midi à l’auditorium Rainier III. L’excellent orchestre Les Siècles prend place sur la grande scène, les musiciens à bonne distance les uns des autres. La salle se remplit autant qu’autorisé, bruissante des bavardages des spectateurs qui s’installent, et de cette cacophonie instrumentale que la baguette du chef va transformer, dans quelques minutes, en harmonie suprême. Tous ces sons retrouvés, si anodins, ont soudain un effet réconfortant. L’expression réjouie, François-Xavier Roth arrive avec Vincent Lhermet, commanditaire du concerto pour accordéon et orchestre de Gérard Pesson (né en 1958) « Chante en morse durable » qu’ils interprètent en création mondiale.

La pièce en un seul mouvement naît d’une note tenue, répétée, vibratile, issue du soufflet de l’accordéon, dont l’orchestre se fait peu à peu l’écrin, le résonateur, combinant ses timbres dans une écriture finement ciselée. Enchâssé dans un tissu orchestral aux multiples et délicates couleurs, l’accordéon décline alors tout un vocabulaire sonore et de bribes mélodiques. De ce mariage jaillit une musique fluide, délicieusement enchaînée, poétique, où l’orchestre absorbe, fait siens comme par sympathie les inflexions et le souffle même de l’accordéon, élément primordial intégré en temps que tel dans la partition. La pièce qui emprunte un chemin narratif dont nous perdons parfois la trace, pris dans les sensations et l’émerveillement de l’instant, s’avère captivante et séduisante, nous faisant découvrir une virtuosité inédite. Le jeu imaginatif et raffiné de Vincent Lhermet, qui n’est jamais dans la grandiloquence, trouve un accord parfait avec la direction sensible et attentive de François-Xavier Roth.
Changement de plateau. Bertrand Chamayou, qui remplace au pied levé Kit Armstrong, et Renaud Capuçon se joignent aux musiciens de l’orchestre pour interpréter le Kammerkonzert d’Alban Berg (1885-1935), pour piano, violon et treize instruments à vents. Dédiée à Schönberg, mais aussi monument élevé à la gloire de leur trinité viennoise (Schönberg, Webern, Berg), elle est la première œuvre dodécaphonique aboutie du compositeur. L’ensemble en donne ce jour-là une interprétation d’anthologie, sur instruments à vent d’époque (début XXème siècle), servie par des artistes de haut vol. François-Xavier Roth travaille méticuleusement la texture polyphonique de l’ensemble aux bois prédominants, modelant à tout moment l’expression avec soin. Des trois parties indissociables, Bertrand Chamayou marque la première de son jeu bouillonnant au son généreux, d’un élan romantique parfois exacerbé, laissant poindre au cœur de la deuxième variation le parfum viennois d’une valse. L’Adagio central donne la parole au violon de Renaud Capuçon, et à sa longue cantilène, dont il soutient de son archet fiévreux et souvent acéré les traits acrobatiques dans un esprit expressioniste. Les deux solistes se rejoignent dans la cadence introductive du Rondo ritmico où les vents énoncent le nom de Schönberg dans un choral triomphal. Une interprétation brillante qui fait forte impression.
L’orchestre Les Siècles revient au grand complet pour jouer l’œuvre finale, le Quatuor avec piano en sol mineur op.25 de Brahms, dans la transcription pour orchestre de Schönberg. Fervent admirateur de l’écriture Brahmsienne, allant à qualifier le compositeur allemand de « progressiste », le père du dodécaphonisme s’est attelé à l’orchestration de cette œuvre légendaire suivant les principes d’instrumentation de ses propres symphonies. Écoute-t-on alors du Brahms? du Schönberg? Les deux à la fois: le texte musical de Brahms enveloppé de la pâte sonore de Schönberg. Le premier mouvement frappe par son opulence pompeuse, la générosité brahmsienne augmentée par l’abondance instrumentale, en particulier celle des vents. L’andante con moto nous emporte dans ses phrasés amples, son chant chaleureux, et la marche en son centre sonne majestueusement dans la lumière des cuivres, sous ses roulements de timbales et l’éclat de ses cymbales. L’orchestre attaque le finale, Rondo alla zingarese, éclaboussant le public de son énergie électrisante. Un triomphe pour les Siècles, qui croule sous les applaudissements et les exclamations.
Les étoiles dans les yeux des musiciens disent long de leur joie, et de leurs sourires que l’on devine sous les masques. Le lendemain se liront les mêmes émotions sur les visages des deux pianistes invitées…à suivre!
Jany Campello
crédits photos © Alice Brangero (Printemps des Arts) et C.Daguet (Gérard Pesson)