Chroniques

RYAN WANG : UN JEUNE PRODIGE À LA FONDATION LOUIS VUITTON

Ryan Wang est déjà bardé de prix et distinctions. Nous l’avions découvert au tout nouveau Concours International de piano Samson François (Cagnes-sur-mer), dont il a remporté haut la main le Premier Prix en juillet 2022. Il avait unanimement suscité la stupéfaction et l’admiration avec notamment son interprétation de La Valse de Ravel, restée en mémoire. Le jeune canadien de Vancouver, âgé seulement de quinze ans, qui a commencé l’étude du piano à quatre ans et donné son premier récital au Carnegie Hall à cinq, continue à étudier au Royaume-uni et en France à l’École Normale de Musique (professeur Marian Rybicki). Mais qu’a-t-il réellement à apprendre encore ? C’est bien la question que l’on peut se poser après l’avoir écouté, tant sa personnalité, sa maîtrise ont déjà atteint un niveau d’accomplissement. Il est à croire que toutes les fées du monde se sont penchées sur le berceau de ce musicien, dont le sens artistique et le degré de maturité sont exceptionnels pour son âge. 

Longiligne et aux fins traits asiatiques, Ryan Wang, arrive sur scène, ses yeux comme deux luisantes billes de jais et un bon sourire lorsqu’il salue sans s’attarder. Le Steinway l’attend. Avec la Sonate n°60 en do majeur, Hob.WVI-50 de Joseph Haydn, l’une de ses sonates « londoniennes », commence son récital. Un monde de raffinement s’ouvre à nos oreilles : le jeu clair et souple, le pianiste s’empare de ces pages avec esprit et fraicheur de vue, colorant savamment son toucher comme pour nous faire imaginer qu’il joue sur un de ces anciens pianoforte dont les jeux de pédales (jusqu’à 5 chez certains !), comme celle de luth par exemple, pouvaient modifier les timbres. Mais c’est bien ce piano moderne qu’il touche, dont il utilise des ressources insoupçonnées pour faire briller le son ou le matifier, le projeter ou l’atténuer à l’extrême, sans en corrompre la consistance. Quelle vie dans le dernier mouvement, animé de ses sautes d’humeurs, ses surprises, ses fulgurances ! 

Il change d’univers avec des Réminiscences de Norma S.394 de Franz Liszt, qui sont tout sauf clinquantes. Le pianiste construit l’espace sonore, lui donne son ample volumétrie, équilibre l’ensemble en faisant sonner les basses sous une main qui n’en finit pas de chanter d’une voix large et généreusement timbrée. Il ne se contente pas de jouer les notes, d’épater avec du son et de la technique dont il pourrait se griser, comme l’ont fait d’autres virtuoses de son âge, il y a dans ce qu’il fait du théâtre, une dramaturgie construite, de la passion et de la chair, du caractère sans caricature. 

De Frédéric Chopin il a choisi trois Mazurkas, un Nocturne et une Ballade, pour une seconde partie de concert que La Valse de Maurice Ravel viendra parachever. Les Trois Mazurkas op.59 ont sous ses doigts des parfums de valses, quoiqu’accentuées comme il se doit. Ryan Wang les jouent sans chichis, mais plus dansantes qu’elles ne l’ont probablement été pensées, surtout la troisième au rythme souple. Si la première est intimiste et élégante, toute en pudeur, la deuxième de facture plus rustique est empreinte d’une belle et franche vitalité. Le Nocturne op.62 n°1, par moments encore un peu « vert », possède une ligne « vocale » d’une grande beauté et sa fin très adoucie, caressante, se dissout pianissimo dans un tendre rêve…Lorsqu’il commence la Ballade n°4 op.52, c’est avec une noblesse de ton, une sobriété touchantes. On le suit alors dans sa narration, qu’il construit avec une sûreté de pensée et de geste, une finesse et une intelligence du texte, sans en négliger le souffle épique, servi par une virtuosité à toute épreuve.

Mais c’est « sa » Valse de  Maurice Ravel qui va galvaniser le public : de cette version pour piano seule qui n’était pas destinée à être jouée en public, d’ailleurs pas complètement aboutie bien qu’éditée (le compositeur ayant préféré écrire une partition pour deux pianos plus à même de rendre le volume orchestral), Ryan Wang donne une interprétation prodigieuse, ces deux mots prenant ici pleinement leur sens. Avec ses impressionnants moyens techniques, son imagination, sa vision précise et puissante, et déjà cette conscience aiguisée du son, de ses couleurs, de sa plénitude, de sa plasticité, de sa projection qui ne souffre d’aucune dureté, le pianiste nous emporte dans le tourbillon de cette Valse, dans ses troublants vertiges, au gré de ses vagues submersives, sans jamais nous lâcher. Sombre et rutilante, elle explose à la fin de tous ses feux, avant de se fracasser dans les derniers accords. 

Dans l’auditorium plein à craquer, le public littéralement sous le choc applaudit à tout rompre ce jeune musicien fin comme une liane qui vient de réaliser l’incroyable. En bis, il revient à Chopin avec l’Étude n°11 de l’opus 25, et termine avec une Lettre à Élise bien peu sage et jazzy, tandis que le lamé argenté de l’eau continue à scintiller dans la nuit derrière la vitre qui borde la scène. 

Jany Campello

crédit photographique © Fondation Louis Vuitton/Gaëlle Cornier

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